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PATRICK KARPINSKI

Des péniches de deux mille tonnes du Rhône au Rhin
à travers la Suisse ?



Le programme Eau 21 a choisi comme deuxième sujet d’étude le projet du canal reliant le Rhin au Rhône à travers la Suisse. C’est un projet particulier, une sorte d’antithèse suisse, puisqu’il exprime à lui tout seul une ambition européenne. Ce canal est un serpent de mer qui apparaît et disparaît au gré des soubresauts guerriers ou des glorieuses années économiques. En 1993, la Confédération a abandonné le projet de ce canal, en biffant la protection du tracé dont il faisait jusque-là l’objet. Dès lors l’idée est tombée dans l’oubli, sauf pour ses défenseurs.




L’histoire d’un canal navigable de 1648 à 1849.

L’idée de relier la mer du Nord à la Méditerranée par une voie navigable intérieure, apparue au début du XVIIe siècle, fut suscitée par l’insécurité et la longueur du voyage par voie maritime ; il fallait contourner la péninsule ibérique ennemie et la côte nord-africaine infestée de pirates. En 1635, Elie Gouret, gentilhomme huguenot, Breton établi en Hollande, présenta aux autorités de Berne un projet de canal reliant les bassins du Rhin et du Rhône. En 1637, la concession fut accordée et les travaux commencèrent en 1638 avec un financement hollandais, français, genevois, vaudois et bernois. La traversée de la plaine de l’Orbe fut aisée. Les choses se compliquèrent à la hauteur d’Entreroches où le chantier connut de sérieux retards. Cossonay ne fut atteint qu’en 1648. Les deux tiers de la distance séparant le lac de Neuchâtel et le Léman étaient rendus navigables. Toutefois, les treize kilomètres restants jusqu'au lac Léman auraient nécessité des travaux considérables. Le chantier fut officiellement stoppé en 1664.

L’exploitation du canal s’avéra une entreprise financièrement médiocre. Il est vrai que les prix de transport étaient maintenus relativement bas, les clients étant aussi actionnaires. Les bateliers étaient recrutés parmi les paysans de la région, qui trouvaient là un revenu d’appoint durant la morte saison, les transports se faisant surtout l’hiver. Les «razelles» transportaient du grain, du sel et surtout du vin. Les bateliers avaient mauvaise réputation. Ils étaient doués pour soutirer le précieux liquide des fûts et arrivaient bien souvent à destination en état d’ébriété avancée. L’expression «charger (ou aller) sur Soleure» prend probablement ici son origine.

Vestiges du Canal d'Entreroches en 2004

Les transports par eau étaient lents et subissaient les retards dus aux intempéries, au gel et à la sécheresse. C’est avec l’amélioration des routes, au XVIIIe siècle, que commença le déclin du canal. Les transports terrestres ne tardèrent pas à se montrer plus compétitifs et plus rapides. La maintenance du canal fut délaissée. En 1829, le pont du Talent s’effondra, obstruant ainsi le passage des bateaux. Il ne fut jamais réparé. Ce fut le coup de grâce.

En 1952, La commission de l’Association Suisse pour la Navigation du Rhône au Rhin fit une étude pour établir un plan d’aménagement, notamment pour l’importation de matières premières telles que le fer, le charbon et le pétrole entre le lac Léman et le Rhin et reçut une participation importante de la Confédération. Lorsque ses conclusions furent disponibles, une nouvelle étude fut alors entamée sous l’égide de l’Office fédéral des eaux, proposant de combiner le projet de voie navigable avec un projet hydrologique visant à réguler les eaux du Jura, qu'on surnommera "la 2ème correction des eaux du Jura". C'est également l'époque pendant laquelle de gros efforts furent consentis pour la construction des autoroutes et des aéroports afin de palier un retard dans le développement de ces infrastructures. La construction d’une voie navigable entre le Léman et le Rhin fut alors jugée inopportune, puis quasiment oubliée.


L'étude de 1952

Le 10 juin 1990, une votation populaire plébiscita des mesures actives de protection de la Venoge, principale source d'alimentation en eau du Canal d'Entreroches. La protection de cette rivière est désormais inscrite dans la Constitution vaudoise.

En 1993, la Confédération confirma officiellement son désengagement dans le projet de construction d’une liaison navigable entre le lac Léman et le Rhin.

En 1997, la commission technique désigné par l'Association Suisse de Navigation Intérieure proposa un nouveau tracé, cette solution aurait permi l’alimentation en eau du canal par le lac de Neuchâtel jusqu’au lac Léman. Or, les moyens nécessaires pour la construction d'une voie fluviale reliant le lac Léman au Rhin sont d'envergure. Les travaux à accomplir ont été qualifiés de pharaoniques par plusieurs experts interviewés dans le cadre de la présente analyse.

La politique suisse des transports est aujourd’hui orientée vers la route, le rail et le système combiné du ferroutage. Il faut admettre que la navigation n'est pas présente dans les préoccupations des autorités dirigeantes du moment.

Pour permettre à ce projet d'aboutir, beaucoup d'efforts, de persévérance et de bonne volonté sont encore nécessaires. C'est un projet ambitieux, c'est ce qui en fait son charme et son attrait. Aussi, souhaitons bonne chance aux membres de l'Association Suisse pour la Nvigarion Intérieure (ASNAV)qui, en fervents défenseurs de la navigation en Suisse, militent pour que ce projet devienne un jour réalité.


Port de Bâle, été 2004
 


EXTRAITS DE CINQ ENTRETIENS CONTENUS DANS CE RAPPORT :


1. ENTRETIEN avec DENIS WICHT du 13 novembre 2003,
Président de l'Association Suisse de la Navigation Intérieure (ASNAV)


Eau 21 : Quels objectifs poursuit l'ASNAV ?
D. Wicht : Le but est de constituer un lobby défendant à la fois les intérêts du commerce du transport fluvial et la dimension touristique de la navigation.

Eau 21 : D'un point de vue général, quelle attitude la Confédération adopte-t-elle vis-à-vis du transport fluvial en matière de politique des transports ?
D. Wicht : C'est bien simple. Récemment, les autorités ont mis en consultation une conception globale des transports. La navigation n'y a même pas été évoquée, et nous n'avons pas été contactés...

 



2. ENTRETIEN avec THIERRY DU PASQUIER du 18 novembe 2003, Président de Transhelvetica SA

Eau 21 : Quelle est l'origine de Transhelvetica SA et en quoi consiste son rôle ?


T. Du Pasquier : C'est une société anonyme qui a été fondée il y a environ quarante ans réunissant des personnes intéressées au développement de la navigation intérieure. La société a pour but de prendre en charge les travaux du canal au moment où les autorités auront onné leur feu vert, et l'on peut donc estimer que Transhelvetica SA est actuellement en phase d'attente.

Eau 21 : Politiquement, la situation vous apparaît bien compromise. Mais du côté de l'économie, Transhelvetica SA reçoit-elle l'appui de certains grands groupes de la construction ?
T. Du Pasquier : Les entreprises auxquelles vous faites allusion ne vont pas se mettre en route tant que les autorités polititques seront opposées au principe même de la navigation intérieure en Suisse. Le 17 septembre 2003, le Conseiller nationnal bâlois Paul Kurrus a adressé un postulat au Conseil fédéral, par lequel il l'invitait à indiquer "quelles mesures sont prises pour faire face à la saturation de la route et du rail en exploitant les capacités de transports par voie d'eau actuellement en jachère ?", selon ses propres mots. Je me réjouis de connaître la réponse que le gouvernement apportera à cette question.

Barrage de Génissiat sur le Rhône

Eau 21 : Reste que dans son ordonnance de 1993 relative à la protection du tracé, Berne a signé la mort du projet ?
T. Du Pasquier : La loi n'est ni immuable, ni intangible. Lorsque l'on réalisera qu'il n'y a pas d'autres solutions aux problèmes des transports que de recourir à la voie d'eau, tous les problèmes théoriques, techniques, financiers et juridiques seront vite résolus. La vitesse commerciale effective sur l'eau est parfois meilleure que sur le rail, c'est vraiment l'idéal et l'avenir lui appartient.



3. ENTRETIEN avec JACQUES BONVIN du 9 décembre 2003,
Chef du projet de Gestion intégrée de la plaine de l'Orbe (GESORBE)


Eau 21 : Vous êtes responsable du projet "GESORBE" qui a pour but l'étude de la gestion des eaux de la plaine de l'Orbe suite à ses inondations. Sur cette plaine est prévu le tracé d'un éventuel canal navigable reliant le lac Léman au lac de Neuchâtel (canal Rhin-Rhône). GESORBE est-il compatible avec ce projet de canal ?
J. Bonvin : La construction d'un tel canal n'est pas indispensable car dans le cadre de notre projet, nous proposons un nouveau tracé de canal pour l'évacuation des eaux, mais en aucun cas, le projet GESORBE enterre le projet de canal Rhin-Rhône.

Eau 21 : Les ressources en eau actuelles et futures (changements climatiques) sont-elles suffisantes pour alimenter un canal de gabarit commercial ?
J. Bonvin : Non, il n'y a pas assez d'eau venant des affluents pour l'alimentation d'un tel canal surtout en période d'étiage et de sécheresse qui ne permet pas une irrigation d'appoint. Cela signifie que le canal Rhin-Rhône devrait être alimenté par le lac de Neuchâtel.

Eau 21 : Avec les techniques actuelles de construction, comment percevez-vous la construction d'un tel canal, jugée pharaonique par les Anciens ?
J. Bonvin : Ce projet reste pharaonique. Des problèmes très importants ne sont pas résolus à ce jour nécessitant des ouvrages colossaux.



4. ENTRETIEN avec BRUNO SCHAEDLER du 18 décembre 2003,
membre du comité de direction de l'Office fédéral des eaux et de la géologie (OFEG)

Eau 21 : Le projet de 1952 impliquait la disparition, au profil du canal, des vingt derniers kilomètres de la Venoge avant le lac Léman. Aujourd'hui, cela semble impossible. Les rivières sont-elles devenues sacrées ?


B. Schaedler . De nombreux mouvements écologiques sont apparus depuis, il est nécessaire de les préserver pour maintenir un équilibre. L'approche actuelle est de libérer encore plus de terrains au bord des rivières, notamment agricoles, pour prévenir les crues et l'érosion.

Eau 21 : Pensez-vous que le canal Rhin-Rhône par la Suisse se réalisera un jour ?
B. Schaedler : Je pense que ce projet ne se réalisera jamais. A moins qu'un jour, il y ait pénurie d'essence.
                                                                              


  
                                                                                                                                                                  La Venoge

 
5. ENTRETIEN avec JEAN-DIDIER BAUER du 23 janvier 2004,
Capitaine au long cours


Eau 21 : Pouvez-vous nous décrire votre implication dans le projet de canal du Rhin au Rhône passant par la Suisse ?
J.-D. Bauer : J'ai accepté la présidence pendant douze ans de ce qui s'appelait l'Association Suisse pour la Navigation du Rhin au Rhône. La raison sociale de cette association a été changée car elle fait la promotion de la navigation dans son ensemble en Suisse et pas seulement celle d'un tracé du Rhin au Rhône qui obligatoirement génère un certain nombre de problèmes dans un pays qui tend à oublier que la navigation existe en Suisse.

Eau 21 : Ce projet de canal date de plusieurs siècles, aujourd'hui, il semble écarté ?
J.-D. Bauer : A l'époque il s'agissait d'établir une liaison Rhin-Rhône pour des raisons religieuses, ce qui aurait pu éviter la Franche Comté catholique pour relier la Hollande calviniste à Genève. Aujourd'hui l'obstacle majeur est l'oubli de la navigation intérieure par les autorités fédérales, malgré l'importance du transport fluvial en Suisse. Les choses vont d'ailleurs en se dégradant, on se préoccupe plus des problèmes futurs pour la route et le rail et c'est tout.

Projet de 1952


 

EXTRAIT DE LA CONCLUSION de PIERRE-ANDRE VUITEL,
Chef de projet du Programme Eau 21


En fait, à bien parcourir le dossier, on est frappé de voir que ce projet n'a jamais été réellement discuté en Suisse aux plus hauts niveaux, sauf peut-être, et encore, au début des années cinquante, à l'occasion de la seule véritable étude qui ait été conduite sur le sujet. Depuis, le projet de canal Rhin-Rhône est absent des débats sur la politique des transports, en dehors de cercles de plus en plus étroits. De temps en temps, la presse romande publie quelques articles où l'on sent percer une certaine ironie, parce que ce projet repose sans doute sur une philosophie qui n'est plus d'actualité, l'homme qui modèle la nature à sa convenance. En effets les bouleversements sur le régime des eaux, nappes phréatiques, lacs et rivières, qu'impliqueraient la construction et l'existence d'un canal pour des péniches de 2000 tonnes sont considérables, pour un gain d'énergie très relatif. Autre handicap, la route et le rail génèrent des revenus, permettant le financement de nouveaux équipements et un retour sur investissement, alors que le transport fluvial est hors taxe, selon l'usage en Europe.
 


 

Le Mormont, point haut du canal d'Entreroches

PATRICK KARPINSKI est né en 1968 en France. Il suivi une formation d’ingénieur en hydraulique et en génie civil à l’Institut National Polytechnique de Grenoble (France), qu’il termina au Civil & Environmental Engineering Department, Trinity College à Dublin (Irlande). Il compléta sa formation par un master en gestion de projets à l’étranger au Centre d’Etudes Supérieures Industrielles de Nancy (France).

Il travailla successivement en France, en Suisse, en Australie et à nouveau en Suisse, principalement dans le support technique de vente, comme responsable technico-commercial puis ingénieur commercial.
 


CONTENU :
56 pages A4, photos couleurs

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Avril 2004
 


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