|
CYRIL BESSON
Et au milieu coule La Venoge
On
a un bien joli canton :
des veaux, des vaches, des moutons,
du chamois, du brochet, du cygne,
des lacs, des vergers, des forêts,
même un glacier, aux Diablerets ;
du tabac, du blé, de la vigne.
Mais jaloux, un bon Genevois
m'a dit d'un petit air narquois :
" Permettez qu'on vous interroge :
où sont vos fleuves, franchement ? "
Il oubliait tout simplement
La Venoge !
On ne saurait
ouvrir les pages de l’étude de Cyril Besson sans fredonner La Venoge
de Gilles.
C’est en juillet 1954, lors de vacances à Port-Manech en Bretagne, que
la « Venoge » fut écrite. Gilles dira ensuite ce texte dans son cabaret
devant le public parisien qui en fera un succès populaire, longtemps
appris dans les écoles vaudoises. Jean Villard, dit Gilles, est né le 2
juin 1895 à Montreux et décédé le 26 mars 1982 à Saint-Saphorin, son
village d’attache. Gilles laisse près de 400 chansons et poèmes, ainsi
que de nombreux autres textes, pièces de théâtre et sketches. Cet homme,
véritable légende vaudoise, a certainement transmis à la Venoge une
partie du respect qu’on lui voue aujourd’hui.
C’est tout naturellement à un vaudois que s’est transmise cette flamme
populaire. Après deux ans d’études de biologie à l’UNIL, le Lausannois
Cyril Besson s’oriente vers une formation pratique du domaine
environnemental à l’Ecole d’Ingénieurs HES de Lullier où il obtient, en
2005, un diplôme d’ingénieur en gestion de la nature. C’est ainsi que
Cyril Besson a mis ses compétences au service du Programme Eau 21.
Il définit ainsi sa recherche :
Malgré mon
parcours et mes connaissances environnementales, cette étude ne poursuit
pas un but strictement scientifique, mais se veut avant tout
informative, afin de faire découvrir au public l’histoire de cette
rivière. En rassemblant les données existantes autour du thème abordé,
la quantité d’informations m’a poussé à vous livrer un condensé de la
vie de ce cours d’eau, plutôt qu’à produire un énième travail de
recherche sur l’aménagement technique en rivière. À ce sujet, le peuple
vaudois ayant voulu accorder à la Venoge un statut bien particulier, le
Canton se voit en effet déjà investi de la lourde tâche de mener les
études nécessaires à sa revitalisation.
Paysage bucolique des bords de
la Venoge
Nous
n’aborderons pas ici l’entier de son étude qui se retrouve dans plus de
quatre-vingts pages. Les problèmes liés à la pollution de la Venoge, les
aménagements récents ou passés, les associations, et également son
paysage, ses richesses naturelles, sa faune et ses crues, etc. sont
largement commentés dans la brochure. Dans les lignes qui suivent nous
esquisserons simplement une descente de la Venoge de sa source près de
l’Isle jusqu’à son embouchure entre St-Sulpice et Préverenges. Les
extraits des interviews finaux donnent également un aperçu de la
complexité du travail.
Chauderon,
source principale
La véritable
naturalité des paysages vaudois étant limitée, compte tenu des nombreux
remaniements que l’homme a opérés au fil du temps, elle constitue
pourtant l’essentiel du cours de la Venoge par sa variété. En effet,
hormis le triste tronçon canalisé entre La Sarraz et Cossonay, le
paysage conserve un charme exceptionnel, d’autant plus précieux qu’il
est lié historiquement et culturellement, à l’âme du canton de Vaud. La
Venoge est alimentée à L’Isle par six sources dont la principale,
permanente, est la source du « Chauderon » (autrefois Balla bochi, belle
bouche), à 660 mètres d’altitude. Plus haut, à 710 mètres, le « Puits »
de la Venoge, est une exsurgence temporaire faisant office de trop-plein
de la nappe karstique. C’est uniquement à la fonte des neiges du Jura ou
à la suite de très gros orages que l’eau jaillit de ce puits, devant
lequel se trouve en arc de cercle le barrage antique de la Puisatière.
Il se pourrait que ce muret ait été édifié à l’époque romaine pour
amener l'eau dans des biefs afin d'irriguer les champs. En aval, le lit
du torrent, appelé « Chemin vert » parce qu’il est recouvert de mousse,
est à sec une grande partie de l'année. Les quatre autres sources de la
Venoge, les « Belles-Fontaines », sont situées plus en aval au lieu dit
À la Ferraire et rejoignent le cours d’eau principal par un petit canal.
À L’Isle, pendant longtemps, les habitants n’avaient pas construit de
fontaines dans le village, puisqu’ils avaient l’habitude de puiser leur
eau directement dans la Venoge qui passait au pied de chaque maison ou
presque. En revanche, au cœur de ce véritable château d'eau, un bassin
fut construit en 1710 devant le parc et les jardins d’un autre château,
celui de Charles de Chandieu, un nostalgique des grandes eaux de
Versailles. Surnommé à juste titre « le petit Versailles vaudois »,
cette demeure fut d’ailleurs construite par l'architecte du roi Louis
XIV. Ce bassin permit
également de contenir les inondations printanières provoquées par la
rivière, mais ce n'est qu'en 1902, qu'une correction du cours amont y
mit réellement fin. En amont de la Venoge, se trouvait le Vieux-Moulin
de L’Isle, aujourd’hui transformé en ferme piscicole biologique, la plus
importante exploitation de ce type dans le canton.
À Cuarnens, à proximité de l’emplacement du Mas de la Grange, se
trouvaient le Moulin-Dessus (avec une scie) et le Moulin-Dessous (avec
des battoirs). Le Moulin-Dessus, est le seul moulin vaudois qui a
conservé les différentes installations technologiques des énergies
d'autrefois : canal d'amenée d’eau et roue, machine à vapeur ou turbine
hydraulique. Plus en aval, à l’entrée de La Sarraz se trouvait une
importante industrie, la papeterie, actionnée par des roues à eau. Elle
s’est établie en 1828 et fut l’une des quatre premières en Europe à
fabriquer du papier "sans fin". Un barrage avait dû être construit sur
la Venoge pour subvenir aux importants besoins en eau de cette usine. La
fabrique de couvertures de laine Girardet lui succéda en 1871. À la fin
du XIXe siècle, cette entreprise construisit sa propre usine
électrique, en captant l’eau de la Venoge et du Veyron, en amont de la
Tine de Conflens. Elle fut la première usine électrique de la région et
fournit encore du courant aujourd’hui. La roue inactive de la scierie du
Croset subsiste encore à la Tine de Conflens, c’est une des seules roues
encore bien visibles avec celle du Moulin de Lussery.
Grandes eaux à la Tine de
Conflens
La Tine de
Conflens correspond à la confluence entre les eaux de la Venoge et du
Veyron. « Tine » signifie tonneau en vieux français et « Conflens »,
confluent. La Venoge façonne son lit, sur l’essentiel de son cours dans
les dépôts morainiques disposés en terrasses successives, faisant
parfois apparaître la roche calcaire sous-jacente comme on la trouve
près de la source. À la hauteur de Ferreyres, à l’endroit précis où la
nappe de molasse s’interrompt, laissant à nu le calcaire du fond, les
eaux de la Venoge se mêlent à celles du Veyron. De ce passage d’une
roche résistante à une moins résistante, s'est créée une profonde gorge
entre des falaises de calcaire massif, véritable canyon dans laquelle la
Venoge « offre même à ses badauds des visions de Colorado », comme le
décrit Gilles, « en plus modeste évidemment ! ». Lorsque la Venoge passe à
La Sarraz, elle coule dit-on dans « le Milieu du Monde ». (Voir
l’étude sur le Nozon.) Une partie des eaux du bassin s'écoulent en
direction du nord vers Orny, retrouver le Nozon puis le bassin du Rhin
et la Mer du Nord, l'autre partie en direction du sud, vers la Venoge,
le bassin du Rhône et la Méditerranée. Sur le bief d’Eclépens autrefois
détourné pour alimenter le canal d’Entreroches (Voir l’étude de
Patrick Karpinski.), se trouvait le Moulin d’Eclépens, composé de
quatre roues actionnant un battoir, une scie et deux meules. Plus au sud
se trouve le Moulin de Lussery, avec sa roue encore aujourd’hui bien
préservée, et quasiment seul rescapé de ce patrimoine bientôt perdu.
Le Moulin de
Lussery
À l’écart des
rives de la Venoge, le pied du Mormont accueille une zone industrielle à
fort impact sur le paysage. En effet, l’usine de ciments fondée en 1953,
et dirigée depuis 1992 par l’entreprise Holcim SA, extrait directement
des carrières du Mormont et des Côtes de Vaux le calcaire et la marne
argileuse qui seront transformés ensuite en ciment dans des fours.
Malgré l’impressionnante balafre portée à cette montagne, le PAC Mormont
d’octobre 2000 devrait permettre de préserver ce milieu naturel et
assurer à l’industrie les réserves de calcaire nécessaires à son
activité à long terme.
Entre
1898 et 1997, la commune de Penthalaz a été marquée par l’essor, puis la
fermeture, des Câbleries et Tréfileries de Cossonay. Dans cette zone,
depuis 2004, Venoge Parc SA héberge des bureaux et diverses entreprises
d’artisanat. En aval se trouve le barrage de dérivation du canal des
Grands Moulins qui rejoint, à Cossonay-Gare, les bâtiments de la société
Provimi-Kliba SA, fabricant d’aliments pour animaux. À Cossonay, les
Grands-Moulins étaient composés de deux moulins travaillant depuis le
Moyen Âge : le Moulin de l’Islettaz, remplacé en 1898 par les Câbleries
et Tréfileries de Cossonay, et le Grand-Moulin, aujourd’hui « Grands-Moulins de Cossonay ». Durant le XXe siècle de nombreux
conflits ont eu lieu entre les pêcheurs et les Grands-Moulins, à cause
de la forte utilisation d’eau par leurs turbines, qui mettaient à sec le
lit de la Venoge en période de sécheresse. Les rouages qui existaient
autrefois ont été remplacés par des turbines pour la production
d’électricité. Aujourd’hui, seule une turbine est encore en fonction,
mais une étude de réhabilitation de cette mini-centrale hydraulique a
été effectuée. En rénovant le barrage, le dégrilleur et les canaux
d'amenée et de restitution, tout en mettant en place au moins deux
turbines automatisées, l’étude montre que le prix de revient sera bien
inférieur au prix de vente du courant, ce qui permet de conclure à la
rentabilité de l’installation.
Câbleries de Cossonay,
aujourd'hui Venoge Parc SA
Les moulins
situés plus en aval constituent probablement une catégorie d’usines
annonciatrices du développement industriel des XIXe et XXe
siècles de la basse vallée de la Venoge. Ainsi le Moulin de la Palaz à
Vufflens-la Ville, déjà signalé vers l'an 1100, sera remplacé dès 1895
par une filature et le Moulin du Choc à Cossonay participera à l’amorce
de l’actuelle zone industrielle du Moulin du Choc. Proche de l’actuelle
zone du Moulin du Choc, le Canton prévoit depuis de nombreuses années le
développement de la zone industrielle de la Plaine, sur 50 hectares. En
1977, le SIVA (Syndicat d'améliorations foncières de Vufflens-la-Ville
et Aclens) est créé pour diriger les opérations. Plusieurs oppositions
des milieux écologistes au plan d’extension ont permis d’élaborer en
1994 un nouveau Plan partiel d’affectation (PPA), prenant en compte les
intérêts de la Venoge. Plusieurs compensations de milieux et
recommandations des associations écologistes sont effectivement
acceptées, malgré le comblement de l’étang du Bochet et le défrichement
de nombreux hectares de forêts.
En bordure de la zone alluviale de la Roujarde à Penthaz, se trouvaient
deux anciennes gravières : la Réverule et la Colliare. La première,
transformée par le Canton, à la fin de son exploitation, en décharge
contrôlée bioactive pour recevoir notamment les scories, mâchefers,
cendres et boues de l'UIOM de Lausanne, ainsi que des déchets inertes, a
subi un assainissement qui s'est achevé au mois de juin 2005. Il devrait
être réservé un tout autre sort à la décharge de Colliare. En effet
malgré l'intention première du Canton de l'assainir en y faisant un
dépôt pour matériaux d’excavation, la décharge ne sera vraisemblablement
pas complètement comblée. Cet assainissement devra épargner une partie
du site, en raison de l'habitat exceptionnel qu'elle constitue depuis
1996 pour le Guêpier d'Europe (Merops apiaster), oiseau insectivore
d’origine africaine. La décharge, située en limite nord de son aire de
répartition, est l'unique site en Suisse pour la reproduction de cet
oiseau coloré, en raison des falaises naturelles et sablonneuses dans
lesquelles il creuse des nids troglodytes. Elle abrite également une
diversité exceptionnelle d’invertébrés et d'oiseaux avec notamment
treize espèces nicheuses de la liste rouge.
Sous le pont d'Ecublens
Les communes de
Bussigny, Echandens, Denges, Ecublens et St-Sulpice se signalent par le
plus fort développement industriel de la vallée de la Venoge, en raison
de leur situation urbaine à semi-urbaine. De nombreuses entreprises des
secteurs secondaires et tertiaires sont ainsi concentrées dans ce pôle.
Les territoires de Bussigny et Ecublens sont notamment occupés par des
entreprises telles que Conforama ou Sirec, entreprises qui ont posé des
problèmes d’intégration paysagère ou de pollution de la Venoge dans le
passé. La réserve semi-urbaine de la région lausannoise est la seule sur
la Venoge qui englobe directement une des rives du cours d’eau. Cette
zone concerne toute la rive droite de la Venoge, située entre les ponts
CFF et l’embouchure sur les communes d'Ecublens et de St-Sulpice.
Certaines
associations tentent de rendre le public attentif aux problèmes de
pollution. L’Association pour la sauvegarde du Léman (ASL) et
l’Association Truite-Léman (ATL) font partie, de par leurs actions sur
le terrain, des plus dynamiques.
L’ASL est une association franco-suisse de sauvegarde de la qualité
des eaux du lac Léman et de tous ses affluents. Elle a lancé le 5
septembre 1990 une vaste campagne de sensibilisation et d'action,
« Opération rivières propres » qui consistait à inventorier tous les
rejets dans ces eaux et à déterminer le caractère polluant de chacun.
Pendant les douze ans qu’a duré cette campagne, les 280 affluents du
Léman totalisant plus de 8'000 kilomètres de cours d’eau ont été
parcourus. Le but était de sensibiliser la population et de constituer
un cadastre permettant l’intervention ciblée des communes et du Canton.
La Venoge a reçu la triste distinction de « cours d’eau possédant le
plus de rejets considérés comme très polluants » (121 rejets). Par
ailleurs, et bien qu’elle fasse aussi partie des rivières les plus
longues, elle a gagné la palme avec 159 dépôts de déchets.
Suite aux divers
problèmes rencontrés dans les années quatre-vingts, concernant notamment
les pollutions de la basse Venoge, ainsi que l’imminence de
l’aménagement de la zone industrielle de la Plaine entre
Vufflens-la-Ville et Aclens, un comité rassemblant des responsables
d’Associations de protection de l’environnement tels que WWF, Pro Natura
ou Protégeons la vallée de la Venoge, lance l’initiative « Sauvez
la Venoge ». Par votation, 57% du peuple vaudois accepte
l’initiative, le 10 juin 1990. En 2003, treize ans après l’acceptation,
le Conseil d’État a présenté au Grand Conseil une demande de crédit,
sous la forme d’un exposé des motifs et projet de décret (EMPD) de 6,4
millions de francs. Ce montant devait permettre de financer la mise en
œuvre, de 2003 à 2007, d'une première série de mesures, dont un
important projet de revitalisation là où le cours d’eau est actuellement
canalisé. L’investissement total est estimé à 46,2 millions, dont 32,6
millions à charge du Canton, répartis sur vingt ans. Le Grand Conseil a
néanmoins décidé de couper le crédit en deux et de répartir différemment
les coûts. Aujourd’hui, quelques mesures prioritaires ont déjà été
réalisées et, pour les autres, les études et projets d’exécution sont
pour la plupart achevés. Le gros des travaux, qui concernent le
rétablissement de la migration piscicole, a débuté au printemps 2006 et
devrait se terminer fin 2007.
Crue de mars 2006, entre
Cossonay et Vufflens-la-Ville
L’étude que
Cyril Besson a entreprise sur la Venoge lui a permis de se faire une
idée générale sur le cours d’eau et de nous rendre attentifs tant sur la
mise en œuvre du PAC Venoge que certains constats rencontrés sur le
terrain. Voici son appréciation :
Si un effort important devrait
porter sur l’amélioration des conditions migratoires des poissons, une
certaine insuffisance écomorphologique de la rivière semble à l’origine
de la plupart des problématiques écologiques qu’elle rencontre. Outre la
qualité évidente de l’eau qui doit être améliorée, notamment par la
revitalisation des affluents de la basse Venoge et la multiplication des
actions sur les rejets pollués, des solutions doivent être envisagées
pour garantir le maintien des populations de poissons d’une autre
manière que par perpétuel repeuplement. La revitalisation des berges et
du fond du lit, ainsi qu’une modification de la politique en matière de
pêche, pourrait certainement aider à créer quelques zones de réserves
naturelles où la pêche serait interdite. L’idée d’un parcours de pêche
en no-kill est à promouvoir, afin de diminuer à la fois la pression sur
une partie de la Venoge et de rendre la pêche plus attractive sur ces
tronçons, et également en dehors. Des mesures en faveur de biotopes du
castor et de leur mise en réseau contribueraient au développement de cet
animal emblématique, dont une cinquantaine d’individus vivent
actuellement sur les berges de la Venoge. Il s’agirait par exemple
d’augmenter les surfaces alluviales, les mêmes qui sont nécessaires à la
dynamique fluviale, ou de développer les espèces de bois tendres,
notamment les saules. Le maintien du castor permettrait ainsi non
seulement de valoriser une certaine diversité par un objectif détourné
défini plus clairement, mais également d’entretenir naturellement les
berges de par son rôle de « nettoyeur ». En accompagnement des mesures
de chemins pédestres, peu de solutions ont été proposées en faveur des
autres formes de tourisme comme le cyclisme et l’équitation. De même,
l’aménagement de zones de détente ou d’aires de pique-nique a peu été
abordé, car on cherche à éviter la pénétration du public dans des zones
destinées principalement à la nature. Cependant, la pose d’une
signalétique d’informations et de présentation des valeurs naturelles et
culturelles de la rivière (histoire, patrimoine, milieux naturels, faune
et flore, hydrologie, etc…), à la manière des quelques panneaux existant
aux Îles de Bussigny, pourrait offrir au public un motif de promenade et
de sensibilisation aux problématiques de la Venoge. Malgré tout, la
principale difficulté pour mettre en place ces mesures, outre la
négociation et l’achat, souvent nécessaire de terrains, est de rendre la
population, les collectivités publiques, les communes, les députés et l’État
plus attentifs pour sauver la Venoge. Cette étude se donne également le
but d’ajouter une pierre à cet édifice.
Afin de comprendre la
manière dont le SESA gère les questions de revitalisation et les risques
d'inondation, nous avons rencontré à Lausanne le 8 décembre 2005
Claude-Alain Davoli, ingénieur responsable des projets de
revitalisation.
Qui
s’occupe de l’entretien des cours d’eau ?
La surveillance
et l'entretien des cours d'eau nous sont confiés lorsque ces derniers
ont le statut juridique de « cours d’eau corrigé ». Les cours d’eau qui
ne possèdent pas ce statut demeurent sous la responsabilité des
communes. Le territoire vaudois est divisé en quatre secteurs des lacs
et cours d’eau avec à la tête de chacun de ces secteurs, un chef de
secteur qui est en charge spécifiquement des tronçons dits « corrigés »,
c'est-à-dire ceux qui ont subi des aménagements dans le cadre bien
spécifique d’une « Entreprise de correction fluviale », selon les
dispositions de la Loi vaudoise sur la police des eaux, dépendant du
domaine public. Les chefs de secteur avec leurs cantonniers ont environ
chacun une centaine de kilomètres de cours d’eau à gérer. Ces derniers
sont également les interlocuteurs privilégiés des communes pour tous les
tronçons non corrigés nécessitant des travaux d'entretien
subventionnables.
Comment et par qui sont financés les projets sur les cours d'eau ?
Nous octroyons
aux communes des subventions cantonales qui s’élèvent à environ 60% du
montant total des travaux. Ces 60% sont divisés comme suit : 40% de
subvention ordinaire et environ 20% de subvention extraordinaire, dite
de solidarité, qui dépend de la capacité financière de la commune
concernée. Le projet peut, de plus, faire l’objet d’une demande de
subvention (environ 30%) à la Confédération, lorsque l’enveloppe
budgétaire dépasse la somme de 400'000 francs. Dans tous les cas, c’est
la commune qui prend à sa charge le solde, dont la moitié peut être
demandée aux propriétaires riverains.
Y a-t-il un bilan de ces événements hydrologiques ou un renforcement des
problèmes sur les dernières années dus aux dérèglements climatiques ?
Effectivement,
nous avons l’impression de vivre (comme pour les ouragans) des
événements, non pas d’intensités extrêmes, mais plus fréquents et plus
soutenus. Soit il n’y a pas d’eau, soit il y en a beaucoup. Actuellement
nous nous situons, d’un point de vue hydrologique, dans une période de
sécheresse assez particulière. La somme annuelle de précipitations est à
ce jour équivalente aux 75% de la moyenne des quantités de pluies qui se
sont abattues ces dix dernières années. Les rivières « gonflent » aussi
plus rapidement parce que nous avons imperméabilisé notre territoire, et
l’un de nos chevaux de bataille est de laminer les débits de crue en
mettant en place des mesures de rétention, là où ces dernières sont
nécessaires. Nous préconisons donc l’infiltration, l’aménagement de
parking filtrant (grille-gazon), la rétention sur toitures ou
l’exécution de bassins de rétention pour des projets importants. Nous
exigeons que la norme de rejet des eaux claires – vingt litres par
seconde et par hectare pour une pluie de temps de retour de 10 ans –
soit respectée, ce qui est une norme de rejet presque naturelle.
Y
a-t-il des problèmes d’étiage sur la Venoge ?
Oui, comme pour
toutes les rivières vaudoises. La grosse problématique réside dans le
fait que lorsqu’il y a peu d’eau, la température de celle-ci augmente,
et les espèces piscicoles présentes meurent. De plus, en période
d’étiage, la dilution de la pollution est nettement plus faible et donc la qualité de l’eau
est beaucoup moins bonne, ce qui ne va pas dans le sens d’une protection
de la faune aquatique. Pour la Venoge, et selon le Plan de protection
adopté, une valeur de 400 l/s sur la basse Venoge et une valeur 250 l/s
sur la haute Venoge doivent être garanties dans tous les cas. Parfois,
des interdictions de pompage doivent être prises au détriment de
l’agriculture.
L'Isle, le "chemin vert" à sec
De quelle manière voyez-vous l’avenir des rivières vaudoises ?
En terme d’écomorphologie,
puisque nous venons de terminer notre inventaire à ce sujet, nous
possédons maintenant une vision de l’état de nos cours d’eau sur
l’ensemble du canton. En comparant cette étude avec celle menée par
d’autres cantons suisses, je dirais que nous faisons partie des cantons
qui ont obtenu un résultat d’ensemble parmi les meilleurs de Suisse
actuellement. Preuve en est le pourcentage relativement faible des cours
d’eau sous tuyau égal à 6% de l’ensemble du réseau hydrographique, un
résultat malgré tout négatif, mais nettement en dessous de nos
prévisions. Néanmoins, notre effort doit tendre vers une amélioration de
la situation, avec un souci constant d’une prise en compte intelligente
des intérêts environnementaux. N’oublions pas que notre mission
prioritaire reste de garantir la protection de la population et des
biens à sauvegarder. Notre deuxième mission est de favoriser l’émergence
de biotopes, et ceci en particulier en donnant de l'espace au cours
d'eau.
Pour en apprendre plus sur le fonctionnement de l’Association Venoge
Vivante, et sur les préoccupations des associations écologiques, nous
avons été reçus le 20 janvier 2006 à Lausanne par la Présidente
Françoise Benjamin.
D’où
est partie l’idée de l’Association Venoge Vivante ?
L’Association
Venoge Vivante est
le
prolongement
logique du comité de l’initiative
« Sauvez la Venoge ». En effet, les associations qui s’étaient
regroupées dans ce comité, ont, une fois l’initiative acceptée par le
peuple vaudois en 1990, mis sur pied cette commission Venoge Vivante
pour faire la balance dans les discussions avec l’État. Ce sont donc les
représentants de chacune des associations qui forment le comité de
Venoge Vivante. Cette dernière est donc une Association d’associations.
Quels sont les sujets sur lesquels vous
intervenez régulièrement ?
Nous avons, par
exemple, été appelés en renfort pour nous opposer aux gravières du Pied
du Jura et nous sommes intervenus à Dizy en faisant opposition à un
projet de porcherie. Les opposants ont réussi à faire en sorte que ce
projet, menaçant fortement les eaux du Veyron, soit abandonné. Ils ont
même réussi à acheter les terrains prévus pour la porcherie. Nous sommes
également consultés dans le cadre du Plan directeur de l’Ouest
lausannois, ainsi qu’au sein de la commission de pilotage de la route de
contournement de Vufflens-la-Ville. Nous avons régulièrement fait
opposition aux différents projets menaçant les zones naturelles de la
Venoge ou occasionnant des surcharges de trafic routier. Notre dernière
intervention a été menée en direction du pont sur la Venoge à La Sarraz.
En effet, les travaux prévus pour la mise en conformité ne prévoyaient
aucune intervention en faveur de la rivière. Nous avons donc fait
opposition, et proposé de saisir cette occasion pour effectuer des
mesures opportunes, conformément à celles préconisées par le PAC Venoge.
Suite à notre action, l’assainissement de deux rejets et le boisement
des rives de part et d’autre du pont seront réalisés.
Comment
voyez-vous l’avenir de la Venoge ?
Je pense que le
problème principal de l’avenir sera de préserver un niveau d’eau minimal
dans nos rivières, ceci afin d’assurer la qualité de l’eau. Comme les
débits d’étiages sont toujours moins importants, des problèmes de
température surviendront. Il faut notamment faire attention au pompage
de l’eau. Si la Venoge contient actuellement peu d’eau, c’est peut-être
aussi parce que les pompages effectués par la ville de Morges du côté de
L’Isle sont trop importants. Il faudrait renégocier avec la ville de
Morges pour qu’elle soulage un peu ses prélèvements sur les sources, en
certaines périodes. D’autre part, les mesures forestières ont impliqué
de déboiser une partie des berges de la rivière, parce que des arbres
étaient emportés. Cet éclaircissement a été parfaitement réalisé mais en
attendant le reboisement naturel, la rivière, exposée au soleil, chauffe
plus rapidement. Le problème devient donc vite délicat.
Quel est votre mot de fin ?
Il faudrait que
les projets deviennent réalité car j’ai l’impression que tout le monde
se lasse. Les Vaudois sont, à tort, persuadés que, comme on en parle
plus, la Venoge est sauvée. J’aimerais qu’il y ait de la bonne volonté
de la part de tous, et des gens qui décident, qui s’investissent dans ce
dossier comme d’un sujet de bataille et qui s’en donnent les moyens.
Malheureusement, j’estime que personne n’ose réellement mouiller sa
chemise, ce qui est très « politique vaudoise ». Nous souhaiterions que
le Conseiller d’État Charles-Louis Rochat, nouvellement en charge du
dossier, arrive à dynamiser les différents acteurs et, soutenu par sa
sensibilité de pêcheur, fasse avancer les choses à grands pas. En effet,
il n’y a jusqu’à présent pas réellement eu de moteur alors que le PAC
Venoge prévoit la nomination d’un délégué exclusif pour la Venoge qui,
de l’extérieur, prendrait en charge le dossier. Mais ce Monsieur Venoge
n’est toujours pas nommé, je le regrette (Nous observons avec
satisfaction que les choses commencent à bouger et en octobre 2006, le
coordinateur-Venoge a été nommé. Ndrl)
Pour mieux comprendre de quelle manière sont prises les décisions du
Canton, nous avons été reçus le 3 février 2006 au Château Cantonal à
Lausanne par Jean-Claude Mermoud, actuellement Conseiller d’État au
Département des institutions et des relations extérieures (DIRE), et
précédemment Chef du Département de la sécurité et de l’environnement (DSE),
au sein duquel il suivit le dossier « Venoge ».
J.-C. Mermoud & C. Besson (à droite)
Quelle
a été votre position concernant la demande des milieux ornithologiques
de préserver une partie de la décharge de Colliare à Penthaz pour le
Guêpier d’Europe ?
C’était une des
belles surprises de ma carrière. Nous avions l’obligation, selon la loi,
d’assainir cette gravière et de la combler. Au cours de l’été 2003, j’ai
été invité à venir voir ce Guêpier qui était menacé par cet
assainissement et j’ai vu cet oiseau impressionnant. Je n’imaginais même
pas que nous avions un tel oiseau en Suisse. J’ai rapidement pris
conscience de l’action concrète qu’il était possible de réaliser en
faveur d’une espèce menacée et j’ai demandé que le nécessaire soit fait
pour ne pas combler cet endroit. J’ai pu démontrer que j’étais
accessible et aussi sensible à ces problèmes. Il est par ailleurs
intéressant de remarquer qu’en temps normal les gravières ne font pas
l’unanimité, mais qu’il s’y développe malgré tout une faune et une flore
incroyable. La plupart des étangs du canton sont, par exemple, apparus
sur d’anciennes gravières qui n’ont pas été comblées. Le seul regret que
l’on peut avoir pour le Guêpier d’Europe est que, par nature, les
falaises dans lesquelles il creuse ses tunnels vont avoir tendance à se
solidifier au cours des années. Des mesures ont donc été prises pour
recréer ces milieux.
Votre position concernant la Venoge a-t-elle changé après votre élection
à la tête du DSE ?
Je faisais
partie de ceux qui ont dit « non » à l’initiative de la Venoge et qui,
aujourd’hui, sans doute grâce à mon parcours, disent sans hésitation
« oui » à la réflexion pour la revitalisation des cours d’eau. De par ma
position, j’ai en effet pu avoir accès à une information nettement plus
importante qu’un simple citoyen. En tant qu’agriculteur au bord du
Talent, il est vrai que l’on voit les rivières changer, même si cela se
passe si lentement que l’on ne s’en aperçoit pas forcément. C’est comme
si vous regardiez vos enfants grandir et que, d’un coup, vous vous
rendez compte qu’ils ont vingt ans. Le niveau d’eau du Talent a aussi
tant baissé que, lorsque je me promène l’été, il m’arrive d’avoir mal au
cœur d’imaginer les poissons devant sauter de gouilles en gouilles pour
survivre. Pour la Venoge, le problème est similaire sur le tronçon
canalisé d’Eclépens, où il n’y a pas un seul arbre pour faire de l’ombre
aux poissons. Cette réalité m’est apparue beaucoup plus facilement parce
que j’étais dans un département où l’information permet ces constats. Le
fait de pouvoir entendre à la fois le Service des eaux, qui a la
nécessité d’assurer l’écoulement des rivières pour des raisons de
sécurité, ainsi que le Service de la pêche qui signale les problèmes,
doit permettre de prendre des décisions équilibrées, sans générer de
frustration chez l’un ou l’autre.
Quelle a été votre implication dans le PAC Venoge en tant que Conseiller
d’État ?
Elle a été de
mettre en œuvre la Commission Venoge que je présidais. Cette Commission
consultative a pour but de faire aboutir le PAC Venoge, en réglant
concrètement les problèmes sur le terrain. Lorsque je suis arrivé au
Département, cela faisait déjà quelque temps que cette initiative avait
été acceptée, mais il y avait une certaine difficulté pour l’État de
concrétiser son action. Il fallait donc savoir dans quelle mesure nous
pouvions aménager le PAC Venoge, notamment dans certaines situations où
l’espace est réduit, comme à Cossonay-Gare par exemple.
Comment s’est passée la collaboration au sein de cette Commission ?
L’état d’esprit
était bon et j’ai trouvé les premières discussions très positives. Les
diverses associations et communes riveraines avaient la volonté de
trouver des solutions sur les travaux à effectuer. Serge Ansermet,
secrétaire général du WWF Vaud, et plusieurs autres personnes se sont
donnés la peine d’écouter les craintes des locaux. Pendant le projet,
nous avons rarement eu de contestations, si ce n’est des inquiétudes
provenant des milieux agricoles. Il a donc fallu démontrer qu’il était
possible de concilier les intérêts entre une nécessaire sécurité et une
divagation maîtrisée de la rivière, avec arborisation. Rapidement, la
commission l’a bien compris. Les difficultés sont cependant arrivées
devant le parlement cantonal, où il fallut abandonner une partie du
projet. En effet, nous n’avons pas pu complètement convaincre les
députés, mais il ne faut pas en faire reproche aux membres de la
Commission, qui ont fait un très bon travail.
Pensez-vous que ces problèmes financiers sont en partie responsables du
manque d’actions concrètes de l’Etat en direction de la Venoge, seize
ans après le vote de l’initiative en 1990 ?
Je pense que
c’est le cas. Il existe toutes sortes de raisons pour que le dossier
traîne. Je le regrette, car lorsque nous aurons plus d’exemples proches
de l’agglomération lausannoise à montrer à la population, sa prise de
conscience va nettement s’améliorer. Si nous pouvions avoir un
laboratoire d’essai sous les yeux, je pense que les gens comprendraient
mieux ce qui se fait, pour ensuite faire pression sur les députés, afin
qu’ils votent plus de moyens financiers pour de tels projets.
Quelles
seraient, à votre avis, les mesures prioritaires du PAC Venoge ?
Je pense que la
première mesure serait de permettre à la faune de vivre et de se
reproduire, en garantissant le niveau d’eau de la rivière. Nous étions
le canton à faire le plus de rempoissonnement, mais j’ai toujours douté
de cette mesure. En effet, remettre des truites dans une rivière pour
qu’elles meurent et que les pêcheurs n’en pêchent qu’une sur cent ne me
paraît pas être la solution la plus appropriée. Les zones tampon, les
variations entre lit majeur et lit mineur, ou l’arborisation des berges,
font le plus défaut sur le tronçon canalisé de la Venoge. Je ne vois
pas, dans ces conditions, comment les poissons pourraient s’y
développer. La recherche d’une entente avec les agriculteurs est donc
importante pour mettre en place, avec leur soutien et grâce aux
compensations écologiques, des corridors verts.
Nids du Guêpier d'Europe à Colliare
Comment voyez-vous l’avenir de la revitalisation des rivières
vaudoises ?
Je pense que la
revitalisation ne peut que tendre vers une amélioration, même si le
processus va demander du temps. J’espère surtout que nous serons
capables d’avoir une meilleure information pour essayer non seulement de
sensibiliser le monde politique, mais également la population qui,
lorsqu’elle aura compris ce que nous faisons, poussera ses élus à la
suivre. L’autre problème est de pouvoir gérer les régimes des cours
d’eau par un ensemble de petites mesures de régulation et par la
conscientisation des gens. Cela se fait gentiment. J’ai moi-même refait,
pour arroser mes fleurs, la même déviation de gouttière que mon
grand-père avait aménagée pour alimenter un bassin pour ses chevaux.
Auparavant, cela se faisait naturellement mais aujourd’hui personne n’a
plus cette habitude. J’approuve donc l’installation de ce type de
réservoirs d’eau de pluie dans les villas. Les petites gouttes d’eau
font les grandes rivières.
Tronçon
canalisé à Lussery
Cyril Besson est
un passionné de la nature, et c’est cette passion qu’il nous a fait
partager. On la ressent dès les premiers mots de l’avant-propos jusqu’à
la conclusion de l’étude .
On constate
aujourd’hui encore un écart important entre la volonté de bien faire et
la concrétisation des projets. On peine à fournir l’effort nécessaire,
on ose encore se demander si tout cela est bien utile, on rechigne trop
souvent à donner un peu de nous-mêmes, du temps et de l’argent pour
offrir à notre planète et à nos enfants un environnement sain et viable.
Finalement, une rivière ne doit pas être considérée comme un obstacle,
mais comme une source de richesse naturelle indissociable de tout son
environnement. De L’Isle à St-Sulpice un espace de nature existe et ne
demande qu’à pouvoir s’exprimer. C’est plus qu’une simple rivière… c’est
la Venoge !
L'embouchure
dans le Léman
CONTENU :
84 pages A4, photos couleurs
COMMANDE :
Nos brochures sont à vendre. Merci de nous contacter.
Notre association ne poursuit aucun but lucratif.
Association Développement 21
Rue du Bugnon - 1375 Penthéréaz - Suisse
Tél + 41 (0)21 881 22 39 - E-mail eau21@eau21.ch
- Site http://www.eau21.ch
©
Toute reproduction, même partielle, devra faire l'objet au préalable
d'une demande écrite.
Mai 2006
|
|