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CYRIL BESSON

Et au milieu coule La Venoge
 

On a un bien joli canton :
des veaux, des vaches, des moutons,
du chamois, du brochet, du cygne,
des lacs, des vergers, des forêts,
même un glacier, aux Diablerets ;
du tabac, du blé, de la vigne.

Mais jaloux, un bon Genevois
m'a dit d'un petit air narquois :
" Permettez qu'on vous interroge :
où sont vos fleuves, franchement ? "
Il oubliait tout simplement
La Venoge !

On ne saurait ouvrir les pages de l’étude de Cyril Besson sans fredonner La Venoge de Gilles.
C’est en juillet 1954, lors de vacances à Port-Manech en Bretagne, que la « Venoge » fut écrite. Gilles dira ensuite ce texte dans son cabaret devant le public parisien qui en fera un succès populaire, longtemps appris dans les écoles vaudoises. Jean Villard, dit Gilles, est né le 2 juin 1895 à Montreux et décédé le 26 mars 1982 à Saint-Saphorin, son village d’attache. Gilles laisse près de 400 chansons et poèmes, ainsi que de nombreux autres textes, pièces de théâtre et sketches. Cet homme, véritable légende vaudoise, a certainement transmis à la Venoge une partie du respect qu’on lui voue aujourd’hui.
C’est tout naturellement à un vaudois que s’est transmise cette flamme populaire. Après deux ans d’études de biologie à l’UNIL, le Lausannois Cyril Besson s’oriente vers une formation pratique du domaine environnemental à l’Ecole d’Ingénieurs HES de Lullier où il obtient, en 2005, un diplôme d’ingénieur en gestion de la nature. C’est ainsi que Cyril Besson a mis ses compétences au service du Programme Eau 21. Il définit ainsi sa recherche :

Malgré mon parcours et mes connaissances environnementales, cette étude ne poursuit pas un but strictement scientifique, mais se veut avant tout informative, afin de faire découvrir au public l’histoire de cette rivière. En rassemblant les données existantes autour du thème abordé, la quantité d’informations m’a poussé à vous livrer un condensé de la vie de ce cours d’eau, plutôt qu’à produire un énième travail de recherche sur l’aménagement technique en rivière. À ce sujet, le peuple vaudois ayant voulu accorder à la Venoge un statut bien particulier, le Canton se voit en effet déjà investi de la lourde tâche de mener les études nécessaires à sa revitalisation.

Paysage bucolique des bords de la Venoge

Nous n’aborderons pas ici l’entier de son étude qui se retrouve dans plus de quatre-vingts pages. Les problèmes liés à la pollution de la Venoge, les aménagements récents ou passés, les associations, et également son paysage, ses richesses naturelles, sa faune et ses crues, etc. sont largement commentés dans la brochure. Dans les lignes qui suivent nous esquisserons simplement une descente de la Venoge de sa source près de l’Isle jusqu’à son embouchure entre St-Sulpice et Préverenges. Les extraits des interviews finaux donnent également un aperçu de la complexité du travail.

Chauderon, source principale

La véritable naturalité des paysages vaudois étant limitée, compte tenu des nombreux remaniements que l’homme a opérés au fil du temps, elle constitue pourtant l’essentiel du cours de la Venoge par sa variété. En effet, hormis le triste tronçon canalisé entre La Sarraz et Cossonay, le paysage conserve un charme exceptionnel, d’autant plus précieux qu’il est lié historiquement et culturellement, à l’âme du canton de Vaud. La Venoge est alimentée à L’Isle par six sources dont la principale, permanente, est la source du « Chauderon » (autrefois Balla bochi, belle bouche), à 660 mètres d’altitude. Plus haut, à 710 mètres, le « Puits » de la Venoge, est une exsurgence temporaire faisant office de trop-plein de la nappe karstique. C’est uniquement à la fonte des neiges du Jura ou à la suite de très gros orages que l’eau jaillit de ce puits, devant lequel se trouve en arc de cercle le barrage antique de la Puisatière. Il se pourrait que ce muret ait été édifié à l’époque romaine pour amener l'eau dans des biefs afin d'irriguer les champs. En aval, le lit du torrent, appelé « Chemin vert » parce qu’il est recouvert de mousse, est à sec une grande partie de l'année. Les quatre autres sources de la Venoge, les « Belles-Fontaines », sont situées plus en aval au lieu dit À la Ferraire et rejoignent le cours d’eau principal par un petit canal.
À L’Isle, pendant longtemps, les habitants n’avaient pas construit de fontaines dans le village, puisqu’ils avaient l’habitude de puiser leur eau directement dans la Venoge qui passait au pied de chaque maison ou presque. En revanche, au cœur de ce véritable château d'eau, un bassin fut construit en 1710 devant le parc et les jardins d’un autre château, celui de Charles de Chandieu, un nostalgique des grandes eaux de Versailles. Surnommé à juste titre « le petit Versailles vaudois », cette demeure fut d’ailleurs construite par l'architecte du roi Louis XIV. Ce bassin permit également de contenir les inondations printanières provoquées par la rivière, mais ce n'est qu'en 1902, qu'une correction du cours amont y mit réellement fin. En amont de la Venoge, se trouvait le Vieux-Moulin de L’Isle, aujourd’hui transformé en ferme piscicole biologique, la plus importante exploitation de ce type dans le canton.
À Cuarnens, à proximité de l’emplacement du Mas de la Grange, se trouvaient le Moulin-Dessus (avec une scie) et le Moulin-Dessous (avec des battoirs). Le Moulin-Dessus, est le seul moulin vaudois qui a conservé les différentes installations technologiques des énergies d'autrefois : canal d'amenée d’eau et roue, machine à vapeur ou turbine hydraulique. Plus en aval, à l’entrée de La Sarraz se trouvait une importante industrie, la papeterie, actionnée par des roues à eau. Elle s’est établie en 1828 et fut l’une des quatre premières en Europe à fabriquer du papier "sans fin". Un barrage avait dû être construit sur la Venoge pour subvenir aux importants besoins en eau de cette usine. La fabrique de couvertures de laine Girardet lui succéda en 1871. À la fin du XIXe siècle, cette entreprise construisit sa propre usine électrique, en captant l’eau de la Venoge et du Veyron, en amont de la Tine de Conflens. Elle fut la première usine électrique de la région et fournit encore du courant aujourd’hui. La roue inactive de la scierie du Croset subsiste encore à la Tine de Conflens, c’est une des seules roues encore bien visibles avec celle du Moulin de Lussery.

Grandes eaux à la Tine de Conflens

La Tine de Conflens correspond à la confluence entre les eaux de la Venoge et du Veyron. « Tine » signifie tonneau en vieux français et « Conflens », confluent. La Venoge façonne son lit, sur l’essentiel de son cours dans les dépôts morainiques disposés en terrasses successives, faisant parfois apparaître la roche calcaire sous-jacente comme on la trouve près de la source. À la hauteur de Ferreyres, à l’endroit précis où la nappe de molasse s’interrompt, laissant à nu le calcaire du fond, les eaux de la Venoge se mêlent à celles du Veyron. De ce passage d’une roche résistante à une moins résistante, s'est créée une profonde gorge entre des falaises de calcaire massif, véritable canyon dans laquelle la Venoge « offre même à ses badauds des visions de Colorado », comme le décrit Gilles, « en plus modeste évidemment ! ». Lorsque la Venoge passe à La Sarraz, elle coule dit-on dans « le Milieu du Monde ». (Voir l’étude sur le Nozon.) Une partie des eaux du bassin s'écoulent en direction du nord vers Orny, retrouver le Nozon puis le bassin du Rhin et la Mer du Nord, l'autre partie en direction du sud, vers la Venoge, le bassin du Rhône et la Méditerranée. Sur le bief d’Eclépens autrefois détourné pour alimenter le canal d’Entreroches (Voir l’étude de Patrick Karpinski.), se trouvait le Moulin d’Eclépens, composé de quatre roues actionnant un battoir, une scie et deux meules. Plus au sud se trouve le Moulin de Lussery, avec sa roue encore aujourd’hui bien préservée, et quasiment seul rescapé de ce patrimoine bientôt perdu.

Le Moulin de Lussery

À l’écart des rives de la Venoge, le pied du Mormont accueille une zone industrielle à fort impact sur le paysage. En effet, l’usine de ciments fondée en 1953, et dirigée depuis 1992 par l’entreprise Holcim SA, extrait directement des carrières du Mormont et des Côtes de Vaux le calcaire et la marne argileuse qui seront transformés ensuite en ciment dans des fours. Malgré l’impressionnante balafre portée à cette montagne, le PAC Mormont d’octobre 2000 devrait permettre de préserver ce milieu naturel et assurer à l’industrie les réserves de calcaire nécessaires à son activité à long terme.
E
ntre 1898 et 1997, la commune de Penthalaz a été marquée par l’essor, puis la fermeture, des Câbleries et Tréfileries de Cossonay. Dans cette zone, depuis 2004, Venoge Parc SA héberge des bureaux et diverses entreprises d’artisanat. En aval se trouve le barrage de dérivation du canal des Grands Moulins qui rejoint, à Cossonay-Gare, les bâtiments de la société Provimi-Kliba SA, fabricant d’aliments pour animaux. À Cossonay, les Grands-Moulins étaient composés de deux moulins travaillant depuis le Moyen Âge : le Moulin de l’Islettaz, remplacé en 1898 par les Câbleries et Tréfileries de Cossonay, et le Grand-Moulin, aujourd’hui « Grands-Moulins de Cossonay ». Durant le XXe siècle de nombreux conflits ont eu lieu entre les pêcheurs et les Grands-Moulins, à cause de la forte utilisation d’eau par leurs turbines, qui mettaient à sec le lit de la Venoge en période de sécheresse. Les rouages qui existaient autrefois ont été remplacés par des turbines pour la production d’électricité. Aujourd’hui, seule une turbine est encore en fonction, mais une étude de réhabilitation de cette mini-centrale hydraulique a été effectuée. En rénovant le barrage, le dégrilleur et les canaux d'amenée et de restitution, tout en mettant en place au moins deux turbines automatisées, l’étude montre que le prix de revient sera bien inférieur au prix de vente du courant, ce qui permet de conclure à la rentabilité de l’installation.

Câbleries de Cossonay, aujourd'hui Venoge Parc SA

Les moulins situés plus en aval constituent probablement une catégorie d’usines annonciatrices du développement industriel des XIXe et XXe siècles de la basse vallée de la Venoge. Ainsi le Moulin de la Palaz à Vufflens-la Ville, déjà signalé vers l'an 1100, sera remplacé dès 1895 par une filature et le Moulin du Choc à Cossonay participera à l’amorce de l’actuelle zone industrielle du Moulin du Choc. Proche de l’actuelle zone du Moulin du Choc, le Canton prévoit depuis de nombreuses années le développement de la zone industrielle de la Plaine, sur 50 hectares. En 1977, le SIVA (Syndicat d'améliorations foncières de Vufflens-la-Ville et Aclens) est créé pour diriger les opérations. Plusieurs oppositions des milieux écologistes au plan d’extension ont permis d’élaborer en 1994 un nouveau Plan partiel d’affectation (PPA), prenant en compte les intérêts de la Venoge. Plusieurs compensations de milieux et recommandations des associations écologistes sont effectivement acceptées, malgré le comblement de l’étang du Bochet et le défrichement de nombreux hectares de forêts.
En bordure de la zone alluviale de la Roujarde à Penthaz, se trouvaient deux anciennes gravières : la Réverule et la Colliare. La première, transformée par le Canton, à la fin de son exploitation, en décharge contrôlée bioactive pour recevoir notamment les scories, mâchefers, cendres et boues de l'UIOM de Lausanne, ainsi que des déchets inertes, a subi un assainissement qui s'est achevé au mois de juin 2005. Il devrait être réservé un tout autre sort à la décharge de Colliare. En effet malgré l'intention première du Canton de l'assainir en y faisant un dépôt pour matériaux d’excavation, la décharge ne sera vraisemblablement pas complètement comblée. Cet assainissement devra épargner une partie du site, en raison de l'habitat exceptionnel qu'elle constitue depuis 1996 pour le Guêpier d'Europe (Merops apiaster), oiseau insectivore d’origine africaine. La décharge, située en limite nord de son aire de répartition, est l'unique site en Suisse pour la reproduction de cet oiseau coloré, en raison des falaises naturelles et sablonneuses dans lesquelles il creuse des nids troglodytes. Elle abrite également une diversité exceptionnelle d’invertébrés et d'oiseaux avec notamment treize espèces nicheuses de la liste rouge.

Sous le pont d'Ecublens

Les communes de Bussigny, Echandens, Denges, Ecublens et St-Sulpice se signalent par le plus fort développement industriel de la vallée de la Venoge, en raison de leur situation urbaine à semi-urbaine. De nombreuses entreprises des secteurs secondaires et tertiaires sont ainsi concentrées dans ce pôle. Les territoires de Bussigny et Ecublens sont notamment occupés par des entreprises telles que Conforama ou Sirec, entreprises qui ont posé des problèmes d’intégration paysagère ou de pollution de la Venoge dans le passé. La réserve semi-urbaine de la région lausannoise est la seule sur la Venoge qui englobe directement une des rives du cours d’eau. Cette zone concerne toute la rive droite de la Venoge, située entre les ponts CFF et l’embouchure sur les communes d'Ecublens et de St-Sulpice.

Certaines associations tentent de rendre le public attentif aux problèmes de pollution. L’Association pour la sauvegarde du Léman (ASL) et l’Association Truite-Léman (ATL) font partie, de par leurs actions sur le terrain, des plus dynamiques. L’ASL est une association franco-suisse de sauvegarde de la qualité des eaux du lac Léman et de tous ses affluents. Elle a lancé le 5 septembre 1990 une vaste campagne de sensibilisation et d'action, « Opération rivières propres » qui consistait à inventorier tous les rejets dans ces eaux et à déterminer le caractère polluant de chacun. Pendant les douze ans qu’a duré cette campagne, les 280 affluents du Léman totalisant plus de 8'000 kilomètres de cours d’eau ont été parcourus. Le but était de sensibiliser la population et de constituer un cadastre permettant l’intervention ciblée des communes et du Canton. La Venoge a reçu la triste distinction de « cours d’eau possédant le plus de rejets considérés comme très polluants » (121 rejets). Par ailleurs, et bien qu’elle fasse aussi partie des rivières les plus longues, elle a gagné la palme avec 159 dépôts de déchets.

Suite aux divers problèmes rencontrés dans les années quatre-vingts, concernant notamment les pollutions de la basse Venoge, ainsi que l’imminence de l’aménagement de la zone industrielle de la Plaine entre Vufflens-la-Ville et Aclens, un comité rassemblant des responsables d’Associations de protection de l’environnement tels que WWF, Pro Natura ou Protégeons la vallée de la Venoge, lance l’initiative « Sauvez la Venoge ». Par votation, 57% du peuple vaudois accepte l’initiative, le 10 juin 1990. En 2003, treize ans après l’acceptation, le Conseil d’État a présenté au Grand Conseil une demande de crédit, sous la forme d’un exposé des motifs et projet de décret (EMPD) de 6,4 millions de francs. Ce montant devait permettre de financer la mise en œuvre, de 2003 à 2007, d'une première série de mesures, dont un important projet de revitalisation là où le cours d’eau est actuellement canalisé. L’investissement total est estimé à 46,2 millions, dont 32,6 millions à charge du Canton, répartis sur vingt ans. Le Grand Conseil a néanmoins décidé de couper le crédit en deux et de répartir différemment les coûts. Aujourd’hui, quelques mesures prioritaires ont déjà été réalisées et, pour les autres,  les études et projets d’exécution sont pour la plupart achevés. Le gros des travaux, qui concernent le rétablissement de la migration piscicole, a débuté au printemps 2006 et devrait se terminer fin 2007.

Crue de mars 2006, entre Cossonay et Vufflens-la-Ville

L’étude que Cyril Besson a entreprise sur la Venoge lui a permis de se faire une idée générale sur le cours d’eau et de nous rendre attentifs tant sur la mise en œuvre du PAC Venoge que certains constats rencontrés sur le terrain. Voici son appréciation :
Si un effort important devrait porter sur l’amélioration des conditions migratoires des poissons, une certaine insuffisance écomorphologique de la rivière semble à l’origine de la plupart des problématiques écologiques qu’elle rencontre. Outre la qualité évidente de l’eau qui doit être améliorée, notamment par la revitalisation des affluents de la basse Venoge et la multiplication des actions sur les rejets pollués, des solutions doivent être envisagées pour garantir le maintien des populations de poissons d’une autre manière que par perpétuel repeuplement. La revitalisation des berges et du fond du lit, ainsi qu’une modification de la politique en matière de pêche, pourrait certainement aider à créer quelques zones de réserves naturelles où la pêche serait interdite. L’idée d’un parcours de pêche en no-kill est à promouvoir, afin de diminuer à la fois la pression sur une partie de la Venoge et de rendre la pêche plus attractive sur ces tronçons, et également en dehors. Des mesures en faveur de biotopes du castor et de leur mise en réseau contribueraient au développement de cet animal emblématique, dont une cinquantaine d’individus vivent actuellement sur les berges de la Venoge. Il s’agirait par exemple d’augmenter les surfaces alluviales, les mêmes qui sont nécessaires à la dynamique fluviale, ou de développer les espèces de bois tendres, notamment les saules. Le maintien du castor permettrait ainsi non seulement de valoriser une certaine diversité par un objectif détourné défini plus clairement, mais également d’entretenir naturellement les berges de par son rôle de « nettoyeur ». En accompagnement des mesures de chemins pédestres, peu de solutions ont été proposées en faveur des autres formes de tourisme comme le cyclisme et l’équitation. De même, l’aménagement de zones de détente ou d’aires de pique-nique a peu été abordé, car on cherche à éviter la pénétration du public dans des zones destinées principalement à la nature. Cependant, la pose d’une signalétique d’informations et de présentation des valeurs naturelles et culturelles de la rivière (histoire, patrimoine, milieux naturels, faune et flore, hydrologie, etc…), à la manière des quelques panneaux existant aux Îles de Bussigny, pourrait offrir au public un motif de promenade et de sensibilisation aux problématiques de la Venoge. Malgré tout, la principale difficulté pour mettre en place ces mesures, outre la négociation et l’achat, souvent nécessaire de terrains, est de rendre la population, les collectivités publiques, les communes, les députés et l’État plus attentifs pour sauver la Venoge. Cette étude se donne également le but d’ajouter une pierre à cet édifice.


 

Afin de comprendre la manière dont le SESA gère les questions de revitalisation et les risques d'inondation, nous avons rencontré à Lausanne le 8 décembre 2005 Claude-Alain Davoli, ingénieur responsable des projets de revitalisation.
 

Qui s’occupe de l’entretien des cours d’eau ?

La surveillance et l'entretien des cours d'eau nous sont confiés lorsque ces derniers ont le statut juridique de « cours d’eau corrigé ». Les cours d’eau qui ne possèdent pas ce statut demeurent sous la responsabilité des communes. Le territoire vaudois est divisé en quatre secteurs des lacs et cours d’eau avec à la tête de chacun de ces secteurs, un chef de secteur qui est en charge spécifiquement des tronçons dits « corrigés », c'est-à-dire ceux qui ont subi des aménagements dans le cadre bien spécifique d’une « Entreprise de correction fluviale », selon les dispositions de la Loi vaudoise sur la police des eaux, dépendant du domaine public. Les chefs de secteur avec leurs cantonniers ont environ chacun une centaine de kilomètres de cours d’eau à gérer. Ces derniers sont également les interlocuteurs privilégiés des communes pour tous les tronçons non corrigés nécessitant des travaux d'entretien subventionnables.

Comment et par qui sont financés les projets sur les cours d'eau ?

Nous octroyons aux communes des subventions cantonales qui s’élèvent à environ 60% du montant total des travaux. Ces 60% sont divisés comme suit : 40% de subvention ordinaire et environ 20% de subvention extraordinaire, dite de solidarité, qui dépend de la capacité financière de la commune concernée. Le projet peut, de plus, faire l’objet d’une demande de subvention (environ 30%) à la Confédération, lorsque l’enveloppe budgétaire dépasse la somme de 400'000 francs. Dans tous les cas, c’est la commune qui prend à sa charge le solde, dont la moitié peut être demandée aux propriétaires riverains.

Y a-t-il un bilan de ces événements hydrologiques ou un renforcement des problèmes sur les dernières années dus aux dérèglements climatiques ?

Effectivement, nous avons l’impression de vivre (comme pour les ouragans) des événements, non pas d’intensités extrêmes, mais plus fréquents et plus soutenus. Soit il n’y a pas d’eau, soit il y en a beaucoup. Actuellement nous nous situons, d’un point de vue hydrologique, dans une période de sécheresse assez particulière. La somme annuelle de précipitations est à ce jour équivalente aux 75% de la moyenne des quantités de pluies qui se sont abattues ces dix dernières années. Les rivières « gonflent » aussi plus rapidement parce que nous avons imperméabilisé notre territoire, et l’un de nos chevaux de bataille est de laminer les débits de crue en mettant en place des mesures de rétention, là où ces dernières sont nécessaires. Nous préconisons donc l’infiltration, l’aménagement de parking filtrant (grille-gazon), la rétention sur toitures ou l’exécution de bassins de rétention pour des projets importants. Nous exigeons que la norme de rejet des eaux claires – vingt litres par seconde et par hectare pour une pluie de temps de retour de 10 ans – soit respectée, ce qui est une norme de rejet presque naturelle.

Y a-t-il des problèmes d’étiage sur la Venoge ?

Oui, comme pour toutes les rivières vaudoises. La grosse problématique réside dans le fait que lorsqu’il y a peu d’eau, la température de celle-ci augmente, et les espèces piscicoles présentes meurent. De plus, en période d’étiage, la dilution de la pollution est nettement plus faible et donc la qualité de l’eau est beaucoup moins bonne, ce qui ne va pas dans le sens d’une protection de la faune aquatique. Pour la Venoge, et selon le Plan de protection adopté, une valeur de 400 l/s sur la basse Venoge et une valeur 250 l/s sur la haute Venoge doivent être garanties dans tous les cas. Parfois, des interdictions de pompage doivent être prises au détriment de l’agriculture.
               L'Isle, le "chemin vert" à sec

De quelle manière voyez-vous l’avenir des rivières vaudoises ?

En terme d’écomorphologie, puisque nous venons de terminer notre inventaire à ce sujet, nous possédons maintenant une vision de l’état de nos cours d’eau sur l’ensemble du canton. En comparant cette étude avec celle menée par d’autres cantons suisses, je dirais que nous faisons partie des cantons qui ont obtenu un résultat d’ensemble parmi les meilleurs de Suisse actuellement. Preuve en est le pourcentage relativement faible des cours d’eau sous tuyau égal à 6% de l’ensemble du réseau hydrographique, un résultat malgré tout négatif, mais nettement en dessous de nos prévisions. Néanmoins, notre effort doit tendre vers une amélioration de la situation, avec un souci constant d’une prise en compte intelligente des intérêts environnementaux. N’oublions pas que notre mission prioritaire reste de garantir la protection de la population et des biens à sauvegarder. Notre deuxième mission est de favoriser l’émergence de biotopes, et ceci en particulier en donnant de l'espace au cours d'eau.

Pour en apprendre plus sur le fonctionnement de l’Association Venoge Vivante, et sur les préoccupations des associations écologiques, nous avons été reçus le 20 janvier 2006 à Lausanne par la Présidente Françoise Benjamin.
 

D’où est partie l’idée de l’Association Venoge Vivante ?
L’Association Venoge Vivante est le prolongement logique du comité de l’initiative « Sauvez la Venoge ». En effet, les associations qui s’étaient regroupées dans ce comité, ont, une fois l’initiative acceptée par le peuple vaudois en 1990, mis sur pied cette commission Venoge Vivante pour faire la balance dans les discussions avec l’État. Ce sont donc les représentants de chacune des associations qui forment le comité de Venoge Vivante. Cette dernière est donc une Association d’associations.

Quels sont les sujets sur lesquels vous intervenez régulièrement ?

Nous avons, par exemple, été appelés en renfort pour nous opposer aux gravières du Pied du Jura et nous sommes intervenus à Dizy en faisant opposition à un projet de porcherie. Les opposants ont réussi à faire en sorte que ce projet, menaçant fortement les eaux du Veyron, soit abandonné. Ils ont même réussi à acheter les terrains prévus pour la porcherie. Nous sommes également consultés dans le cadre du Plan directeur de l’Ouest lausannois, ainsi qu’au sein de la commission de pilotage de la route de contournement de Vufflens-la-Ville. Nous avons régulièrement fait opposition aux différents projets menaçant les zones naturelles de la Venoge ou occasionnant des surcharges de trafic routier. Notre dernière intervention a été menée en direction du pont sur la Venoge à La Sarraz. En effet, les travaux prévus pour la mise en conformité ne prévoyaient aucune intervention en faveur de la rivière. Nous avons donc fait opposition, et proposé de saisir cette occasion pour effectuer des mesures opportunes, conformément à celles préconisées par le PAC Venoge. Suite à notre action, l’assainissement de deux rejets et le boisement des rives de part et d’autre du pont seront réalisés.

Comment voyez-vous l’avenir de la Venoge ?

Je pense que le problème principal de l’avenir sera de préserver un niveau d’eau minimal dans nos rivières, ceci afin d’assurer la qualité de l’eau. Comme les débits d’étiages sont toujours moins importants, des problèmes de température surviendront. Il faut notamment faire attention au pompage de l’eau. Si la Venoge contient actuellement peu d’eau, c’est peut-être aussi parce que les pompages effectués par la ville de Morges du côté de L’Isle sont trop importants. Il faudrait renégocier avec la ville de Morges pour qu’elle soulage un peu ses prélèvements sur les sources, en certaines périodes. D’autre part, les mesures forestières ont impliqué de déboiser une partie des berges de la rivière, parce que des arbres étaient emportés. Cet éclaircissement a été parfaitement réalisé mais en attendant le reboisement naturel, la rivière, exposée au soleil, chauffe plus rapidement. Le problème devient donc vite délicat.

Quel est votre mot de fin ?

Il faudrait que les projets deviennent réalité car j’ai l’impression que tout le monde se lasse. Les Vaudois sont, à tort, persuadés que, comme on en parle plus, la Venoge est sauvée. J’aimerais qu’il y ait de la bonne volonté de la part de tous, et des gens qui décident, qui s’investissent dans ce dossier comme d’un sujet de bataille et qui s’en donnent les moyens. Malheureusement, j’estime que personne n’ose réellement mouiller sa chemise, ce qui est très « politique vaudoise ». Nous souhaiterions que le Conseiller d’État Charles-Louis Rochat, nouvellement en charge du dossier, arrive à dynamiser les différents acteurs et, soutenu par sa sensibilité de pêcheur, fasse avancer les choses à grands pas. En effet, il n’y a jusqu’à présent pas réellement eu de moteur alors que le PAC Venoge prévoit la nomination d’un délégué exclusif pour la Venoge qui, de l’extérieur, prendrait en charge le dossier. Mais ce Monsieur Venoge n’est toujours pas nommé, je le regrette (Nous observons avec satisfaction que les choses commencent à bouger et en octobre 2006, le coordinateur-Venoge a été nommé. Ndrl)
 

Pour mieux comprendre de quelle manière sont prises les décisions du Canton, nous avons  été reçus le 3 février 2006 au Château Cantonal à Lausanne par Jean-Claude Mermoud, actuellement Conseiller d’État au Département des institutions et des relations extérieures (DIRE), et précédemment Chef du Département de la sécurité et de l’environnement (DSE), au sein duquel il suivit le dossier « Venoge ».


J.-C. Mermoud & C. Besson (à droite)           

Quelle a été votre position concernant la demande des milieux ornithologiques de préserver une partie de la décharge de Colliare à Penthaz pour le Guêpier d’Europe ?

C’était une des belles surprises de ma carrière. Nous avions l’obligation, selon la loi, d’assainir cette gravière et de la combler. Au cours de l’été 2003, j’ai été invité à venir voir ce Guêpier qui était menacé par cet assainissement et j’ai vu cet oiseau impressionnant. Je n’imaginais même pas que nous avions un tel oiseau en Suisse. J’ai rapidement pris conscience de l’action concrète qu’il était possible de réaliser en faveur d’une espèce menacée et j’ai demandé que le nécessaire soit fait pour ne pas combler cet endroit. J’ai pu démontrer que j’étais accessible et aussi sensible à ces problèmes. Il est par ailleurs intéressant de remarquer qu’en temps normal les gravières ne font pas l’unanimité, mais qu’il s’y développe malgré tout une faune et une flore incroyable. La plupart des étangs du canton sont, par exemple, apparus sur d’anciennes gravières qui n’ont pas été comblées. Le seul regret que l’on peut avoir pour le Guêpier d’Europe est que, par nature, les falaises dans lesquelles il creuse ses tunnels vont avoir tendance à se solidifier au cours des années. Des mesures ont donc été prises pour recréer ces milieux.

Votre position concernant la Venoge a-t-elle changé après votre élection à la tête du DSE ?

Je faisais partie de ceux qui ont dit « non » à l’initiative de la Venoge et qui, aujourd’hui, sans doute grâce à mon parcours, disent sans hésitation « oui » à la réflexion pour la revitalisation des cours d’eau. De par ma position, j’ai en effet pu avoir accès à une information nettement plus importante qu’un simple citoyen. En tant qu’agriculteur au bord du Talent, il est vrai que l’on voit les rivières changer, même si cela se passe si lentement que l’on ne s’en aperçoit pas forcément. C’est comme si vous regardiez vos enfants grandir et que, d’un coup, vous vous rendez compte qu’ils ont vingt ans. Le niveau d’eau du Talent a aussi tant baissé que, lorsque je me promène l’été, il m’arrive d’avoir mal au cœur d’imaginer les poissons devant sauter de gouilles en gouilles pour survivre. Pour la Venoge, le problème est similaire sur le tronçon canalisé d’Eclépens, où il n’y a pas un seul arbre pour faire de l’ombre aux poissons. Cette réalité m’est apparue beaucoup plus facilement parce que j’étais dans un département où l’information permet ces constats. Le fait de pouvoir entendre à la fois le Service des eaux, qui a la nécessité d’assurer l’écoulement des rivières pour des raisons de sécurité, ainsi que le Service de la pêche qui signale les problèmes, doit permettre de prendre des décisions équilibrées, sans générer de frustration chez l’un ou l’autre.

Quelle a été votre implication dans le PAC Venoge en tant que Conseiller d’État ?

Elle a été de mettre en œuvre la Commission Venoge que je présidais. Cette Commission consultative a pour but de faire aboutir le PAC Venoge, en réglant concrètement les problèmes sur le terrain. Lorsque je suis arrivé au Département, cela faisait déjà quelque temps que cette initiative avait été acceptée, mais il y avait une certaine difficulté pour l’État de concrétiser son action. Il fallait donc savoir dans quelle mesure nous pouvions aménager le PAC Venoge, notamment dans certaines situations où l’espace est réduit, comme à Cossonay-Gare par exemple.

Comment s’est passée la collaboration au sein de cette Commission ?

L’état d’esprit était bon et j’ai trouvé les premières discussions très positives. Les diverses associations et communes riveraines avaient la volonté de trouver des solutions sur les travaux à effectuer. Serge Ansermet, secrétaire général du WWF Vaud, et plusieurs autres personnes se sont donnés la peine d’écouter les craintes des locaux. Pendant le projet, nous avons rarement eu de contestations, si ce n’est des inquiétudes provenant des milieux agricoles. Il a donc fallu démontrer qu’il était possible de concilier les intérêts entre une nécessaire sécurité et une divagation maîtrisée de la rivière, avec arborisation. Rapidement, la commission l’a bien compris. Les difficultés sont cependant arrivées devant le parlement cantonal, où il fallut abandonner une partie du projet. En effet, nous n’avons pas pu complètement convaincre les députés, mais il ne faut pas en faire reproche aux membres de la Commission, qui ont fait un très bon travail.

Pensez-vous que ces problèmes financiers sont en partie responsables du manque d’actions concrètes de l’Etat en direction de la Venoge, seize ans après le vote de l’initiative en 1990 ?

Je pense que c’est le cas. Il existe toutes sortes de raisons pour que le dossier traîne. Je le regrette, car lorsque nous aurons plus d’exemples proches de l’agglomération lausannoise à montrer à la population, sa prise de conscience va nettement s’améliorer. Si nous pouvions avoir un laboratoire d’essai sous les yeux, je pense que les gens comprendraient mieux ce qui se fait, pour ensuite faire pression sur les députés, afin qu’ils votent plus de moyens financiers pour de tels projets.

Quelles seraient, à votre avis, les mesures prioritaires du PAC Venoge ?

Je pense que la première mesure serait de permettre à la faune de vivre et de se reproduire, en garantissant le niveau d’eau de la rivière. Nous étions le canton à faire le plus de rempoissonnement, mais j’ai toujours douté de cette mesure. En effet, remettre des truites dans une rivière pour qu’elles meurent et que les pêcheurs n’en pêchent qu’une sur cent ne me paraît pas être la solution la plus appropriée. Les zones tampon, les variations entre lit majeur et lit mineur, ou l’arborisation des berges, font le plus défaut sur le tronçon canalisé de la Venoge. Je ne vois pas, dans ces conditions, comment les poissons pourraient s’y développer. La recherche d’une entente avec les agriculteurs est donc importante pour mettre en place, avec leur soutien et grâce aux compensations écologiques, des corridors verts.



              Nids du Guêpier d'Europe à Colliare

Comment voyez-vous l’avenir de la revitalisation des rivières vaudoises ?

Je pense que la revitalisation ne peut que tendre vers une amélioration, même si le processus va demander du temps. J’espère surtout que nous serons capables d’avoir une meilleure information pour essayer non seulement de sensibiliser le monde politique, mais également la population qui, lorsqu’elle aura compris ce que nous faisons, poussera ses élus à la suivre. L’autre problème est de pouvoir gérer les régimes des cours d’eau par un ensemble de petites mesures de régulation et par la conscientisation des gens. Cela se fait gentiment. J’ai moi-même refait, pour arroser mes fleurs, la même déviation de gouttière que mon grand-père avait aménagée pour alimenter un bassin pour ses chevaux. Auparavant, cela se faisait naturellement mais aujourd’hui personne n’a plus cette habitude. J’approuve donc l’installation de ce type de réservoirs d’eau de pluie dans les villas. Les petites gouttes d’eau font les grandes rivières.

Tronçon canalisé à Lussery

Cyril Besson est un passionné de la nature, et c’est cette passion qu’il nous a fait partager. On la ressent dès les premiers mots de l’avant-propos jusqu’à la conclusion de l’étude .

On constate aujourd’hui encore un écart important entre la volonté de bien faire et la concrétisation des projets. On peine à fournir l’effort nécessaire, on ose encore se demander si tout cela est bien utile, on rechigne trop souvent à donner un peu de nous-mêmes, du temps et de l’argent pour offrir à notre planète et à nos enfants un environnement sain et viable. Finalement, une rivière ne doit pas être considérée comme un obstacle, mais comme une source de richesse naturelle indissociable de tout son environnement. De L’Isle à St-Sulpice un espace de nature existe et ne demande qu’à pouvoir s’exprimer. C’est plus qu’une simple rivière… c’est la Venoge !

L'embouchure dans le Léman
 


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Mai 2006
 


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