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PHILIPPE FEUNE & STEPHAN WOOLLCOMBE

Doubs-frontière :

Goumois, village franco-Suisse
 


 

Doubs-frontière : goumois, village franco-suisse90 kilomètres séparent la source du Doubs de son embouchure, mais la rivière va faire un caprice de plus de 450 kilomètres, pour la plus grande joie des pêcheurs, avant de rejoindre la Saône. Depuis Mouthe, prenant une direction parallèle aux grands plis du Jura, le Doubs essaime de charmants petits lacs de même une partie de ses eaux souterraines qu’il envoie vers la Loue, l’Orbe et même l’Areuse. A partir du lac des Brenets, pour les Suisses, ou de Chaillexon, pour les Français, la rivière traverse de grandes gorges où elle se plaît à se faire photographier dans son saut, jusqu’au moment où elle se dit que la mer du Nord est trop froide et par un grand coude elle repart à l’Ouest, passant par Saint-Ursanne et s’acheminant vers Besançon par une vallée encaissée creusée dans le plateau du Jura. Passé Dole, le Doubs accueille la Loue puis dans une large plaine alluviale il conflue avec la Saône à Verdun-sur-le-Doubs. Durant son périple jurassien, la rivière partage ses eaux entre les territoires de la Suisse et de la France durant 44 kilomètres. C’est sur cette portion que l’étude a portée et principalement sur le village franco-suisse de Goumois.

Doubs-frontière : goumois, village franco-suisse
Biaufond : dans l'eau, la borne délimitant les trois évêchés de Lausanne, Besançon et Berne

Au temps des rois de France et des princes-evêques de Bâle il n’y avait point de séparation à Goumois, car la seigneurie de Franquemont, dont le château à longtemps surplombé le village, dominait toute la région. Le prince-evêque de Bâle acquis ces domaines au 17e siècle et fit raser le château dont quelques minuscules ruines se voient encore de nos jours. Une dizaine d’années avant de monter à l’échafaud, le roi de France Louis XVI conclu un accord le 11 juillet 1780 avec Frédéric de Wangen le prince-évêque de Bâle au sujet d’une frontière définitive dans l’ancienne seigneurie. L’évêque cédait au roi, la souveraineté, le ressort et tous les droits qui lui appartenaient sur la rive gauche de la rivière, cette dernière, contre tous les usages, devenant entièrement français. En retour, le roi de France cédait à l’évêque les droits souverains qu’il possédait sur les villages de Boncourt, Bure et Damvant, ainsi que la partie qui est située sur la rive droite du Doubs au moulin Jeannotat.

Avant l’établissement des chemins de fer, le courrier de Paris, porteur des dépêches pour Berne, passait par Goumois. Au début du XXe siècle, lors de la grande époque de l’horlogerie, les patrons de Morteau et du Plateau de Maîche venaient souvent à Goumois pour l’attrait du lieu. Il faut signaler qu’autant la descente vers le Doubs que la montée devaient, aux siècles précédents, être singulièrement pénibles. D’autant plus lorsque l’on traînait un char avec soi. Les jurons devaient fuser ! Le sobriquet des habitants de Goumois « les Laidues » provient certainement de cette époque héroïque, car l’une des traductions de ce patois jurassien serait « Oh mon dieu ! », forme bien courtoise, il faut le dire. L’itinéraire du premier car postal du département du Doubs assurait la liaison Besançon – Goumois – Belfort. Bien souvent, les voyageurs dormaient à Goumois et repartaient le lendemain pour repasser trois jours plus tard. Du côté suisse, une diligence assurait le parcours Saignelégier – Goumois. En 1919, une société, sous le nom d’Autos-transport, décida, avec l’aide financière des communes intéressées, d’acheter une voiture postale pour desservir les villages de Goumois, Les Pommerats, Saignelégier et Tramelan. L’administration des Postes était concessionnaire, l’horaire ne prévoyait qu’une seule course par jour, dont le départ et l’arrivée se situait aux Pommerats. Un tel état de chose ne pouvait subsister. En 1939 la commune de Goumois sollicita auprès de la direction générale des Postes la création d’un deuxième trajet, dont le départ et l’arrivée se ferait à Goumois, et non plus aux Pommerats.

(Doubs-frontière : Goumois, village franco-suisse
Carte des territoires rctifiés en 1780 ( © Archives de l'ancien évêché de Bâle, Porrentruy)

Entre 1914 et 1918, la Première Guerre mondiale n’a pas affecté la tranquillité du village, si ce n’est les restrictions inévitables et évidemment la fermeture de la frontière, ce qui a dû causer bien des ennuis. Pourtant les sept noms sur le monument aux morts sont là pour nous rappeler que le village a tout de même payé son tribut à la défense de sa patrie. Lors de la seconde guerre mondiale, le village ne sera pas aussi tranquille, ce sera même l’époque la plus tragique que la communauté de Goumois s’apprête à vivre. Au début de juin 1940, après l’enfoncement du front dans le nord, l’inquiétude grandit dans toute la France. La 12e armée allemande du général List se dirige vers la Suisse. À partir du 17 juin 1940, les réfugiés abordent déjà la frontière suisse. Ces malheureux fuyaient leur pays en abandonnant tous leurs biens, n’emportant avec eux que de légers bagages. Ces fugitifs affolés arrivent en Suisse par tous les moyens ; autos, motos, vélos et la majorité à pied. Ils sont acheminés vers l’intérieur du pays, les frontaliers connus sont accueillis dans les familles des villages alentours, d’autres sont dirigés à l’intérieur du pays. Cet exode durera environ 4 jours, jusqu’à l’arrivée des troupes allemandes. La 2e division polonaise combat sur le plateau de Maîche. Le 19 juin 1940, son commandant, le général Bronisław Prugar-Ketling prend l’initiative de passer la frontière suisse. Depuis le soir du 19 jusqu’au matin du 20 juin 1940, les unités de la 2e division de chasseurs à pied passèrent la frontière suisse par les villages d’Epiquerez, de Goumois, Brémoncourt, Réclère et Chaufour. 10'100 soldats français et polonais ; 3'000 réfugiés civils ; 1'763 chevaux, 870 voitures et 800 vélos, sont passé par Goumois.

 

Le 22 juin, le traité d’armistice est signé avec les Allemands, mais ces derniers ne se pressèrent pas pour descendre dans la vallée du Doubs. Ce n’est que le dimanche 23 qu’un groupe vient prendre contact avec les postes frontière. Il s’agissait en l’occurrence d’un officier et de quelques soldats en motocyclettes. Le 28 juin 1940, le drapeau à croix gammée flotte sur le bureau des douanes françaises à Goumois. Dès le débarquement allié de Normandie, des coups durs sont portés aux Allemands par les Forces françaises de l’intérieur (FFI), à travers le sabotage de lignes téléphoDoubs-frontière : Goumois, village franco-suisseniques, circulation entravée, prise de prisonniers, etc. Le 11 août 1944, le commandant des soldats allemands stationné alors à Maîche, est pris dans une souricière, il est fait prisonnier et amené au maquis. Le lundi 21 août, les Allemands quittent le poste frontière de Goumois. Le 25 août 1944 les cloches sonnent dans tous les villages en l’honneur de la libération de Paris. Et enfin, le 27, le poste frontière de Goumois est occupé par les FFI. Le capitaine Basignot prend officiellement possession du pont et apporte le salut des FFI aux autorités suisses.

                  Occupation de Goumois France,
image prise vraisemblablement durant l’hiver 1940-1941.
                         ( © Collection Cachot)

 Des témoignages de cette tragédie sont évoqués dans la brochure en voici quelques extraits :

 Le 15 novembre 2006, nous avons eu le plaisir et la chance de rencontrer deux générations de dames qui vont nous entretenir, l’une de Doubs-frontière : Goumois, village franco-suisseses souvenirs, l’autre de ce qu’elle a entendu de ses parents et de ses concitoyens sur la vie à Goumois durant la Seconde Guerre mondiale. Ce sont mesdames Corinna-Maria Taillard (CMT), qui logeait à l’hôtel Taillard, et sa fille Jeanne-Marie Taillard (JMT) :

                         
   Jeanne-Marie Taillard et Corina-Maria Taillard,       
dans   leur maison qui  surplombe Goumois           

Des soldats français logeaient-ils dans  votre hôtel lors de la mobilisation de 1939 ?

CMT : Oui, les officiers logeaient à l’hôtel et la troupe dans des maisons du village. Derrière chez nous, il y avait une remise que les soldats avaient aménagée pour y dormir. En fait, c’étaient des Spahis, il fallait faire attention à eux. Leurs chefs n’étaient que deux, mais ils les tenaient bien, ils avaient des cravaches pour leur taper dessus… c’étaient des têtes brûlées. On ne rigolait pas et la nuit on avait peur. Comme nous n’avions plus d’hommes à la maison, on se réfugiait toutes les trois, ma belle-mère, sa sœur et moi, dans la même chambre et on poussait l’armoire devant la porte.

Comment se comportaient les Allemands, au début ?

JMT : L’hôtel de mes parents avait été réquisitionné par l’armée allemande, qui y a installé ses chefs. C’était un peu particulier, parce que mon père était, avec d’autres soldats, en zone libre. Ne restaient à Goumois que ma grand-mère qui était suissesse, ma tante, et ma mère, italienne, qui n’était pas encore mariée, et prise au piège en France à la déclaration de guerre. Les Allemands la considéraient souvent comme une espionne, et les Français pareil.

Vous avez retrouvé votre futur mari à Poligny ?

CMT : Oui, je suis allée le chercher à Poligny en novembre 1940, juste avant notre mariage. Nous aurions voulu nous marier au printemps 1940, mais la guerre a éclaté et nous n’avons pu le faire qu’en décembre. Nous nous sommes mariés et il est resté.

Doubs frontière : Goumois, village franco-suisse

L'hôtel Taillard au début du XXè siècle.
(© collection Cachot)

Pouvez-vous nous décrire vos noces ?

CMT : Nous n’étions que six à l’église de Goumois, j’avais 24 ans. Juste après, nous sommes partis en voyage de noce chez mon beau-frère qui était militaire de profession et qui habitait Epinal. Nous avons d’abord dormi à Besançon, il faisait froid. À l’hôtel où nous avions trouvé une chambre, la patronne nous a averti que si les Allemands arrivaient, elle serait obligée de nous faire partir, ce qui ne fut pas le cas. Puis nous avons pris un train dans lequel il n’ y avait que des Allemands. Nous sommes arrivés à Epinal, et enfin parvenus chez mon beau-frère, il n’y avait plus de maison, plus rien ! La ville avait été bombardée. Mon mari m’a dit que nous aurions dû rester à Goumois, que l’on aurait été tout aussi bien, mais moi je voulais voir autre chose…

On a vu la guerre, les soldats Allemands, ils étaient partout, dans les gares, dans les rues et il fallait se sauver dans les abris. On n’avait pas de papiers. Lorsqu’on est arrivé à Belfort, les Allemands faisaient des contrôles et on a eu peur qu’ils nous demandent nos papiers. Il y avait aussi des Français avec eux qui aidaient aux vérifications. Et parmi eux, il y avait, heureusement, un monsieur de Maîche que je connaissais, nous avons pu passer, mais ce fut risqué !

Comment viviez-vous pendant la guerre ?

CMT : On faisait comme on pouvait. Les Allemands nous donnaient du pain mais il était dur comme du bois. Quelques fois mon mari allait la nuit, à vélo, dans les fermes du plateau. Les paysans cachaient le beurre et le fromage dans des auges de vaches dans les pâtures et, on savait que tel jour à telle heure, il y aurait de la marchandise qui se trouverait à tel endroit. 6

Pendant la guerre on se débrouillait comme tout le monde, on faisait avec ce que les paysans nous vendaient. On cultivait également notre propre jardin, des patates, du rutabaga et on a même élevé des cochons. Deux cochons qui ressemblaient à des chiens parce que l’on avait rien à leur donner à manger ! On avait déjà rien pour nous, alors pour les cochons…

Comment les troupes d’occupation se sont-elles comportées ?

JMT : Ils ont été corrects. Ils ont habitué les gens à une certaine propreté, mais en dehors de cela, c’était la discipline. La seule chose positive qu’ils aient faite fut d’apprendre aux gens à être propres. Par exemple, les paysans qui amenaient leurs vaches pour brouter près du village laissaient plein de bouses derrière leur troupeau. Les Allemands allaient les chercher pour les obliger à balayer.

Quelles étaient les relations avec les Suisses ?

JMT : Les Allemands allaient souvent discuter avec les douaniers suisses. D’ailleurs chez les douaniers suisses, il y avait beaucoup de pro-allemands. On ne s’étonnait pas trop lorsqu’il s’agissait de Suisses allemands, mais lorsqu’il y avait des Romands contents de voir les Français dans la situation où ils se trouvaient, je pense que cela n’est pas très agréable à savoir.

CMT : Les Suisses ont été gentils parce que de temps en temps ils nous jetaient par dessus le Doubs un peu de savon ou du tabac. J’ai aussi retrouvé la trace de mon frère, mobilisé dans l’armée italienne, grâce à la Suisse et à la Croix-Rouge. Cette dernière m’a prévenue qu’il avait été fait prisonnier par les Anglais et qu’il était détenu en Ecosse. Il travaillait dans les champs toute la journée avec seulement un bol de thé et quelques biscuits. Du reste il est mort d’épuisement quand il est rentré. Mon papa m’écrivait depuis la Suisse et c’est notre curé, qui avait de grandes poches dans sa soutane, qui nous passait les lettres.

Comment s’est déroulé l’après-guerre ?

CMT : En France après la guerre, nous avions des cartes de ravitaillement pour le pain, le café, les chaussures. Aussi, on avait avantage à aller en Suisse. On allait chez le dentiste à Tramelan, ou à Saignelégier acheter du chocolat. Au bout du pont de Goumois, côté suisse, il y avait deux magasins où étaient vendus un excellent chocolat, des bas nylon et du tabac. Mon mari a toujours bien aimé aller en Suisse. On s’y rendait aussi avec le personnel de l’hôtel pour lui montrer ce pays. Nous partions en voiture faire le tour du lac des Quatre-Cantons, passer des cols alpins, etc. 


Témoignage de Marthe Brischoux, née Richard, ancienne habitante de Goumois, le 9 décembre 2004 (extraits) :

Doubs frontière : Goumois, village franco-suisse


Durant la grande débâcle de juin 40, avez-vous, comme la plupart des autres habitants, passé en Suisse quelques jours avant de revenir ? Comment cela s’est–il passé ?

Les habitants de Goumois-France sont venus se réfugier en Suisse. Certains sont allés plus ou moins loin. À ce moment-là, comme j’étais employée des postes à Maîche, je devais rester à mon poste, il n'y avait pas d’autre solution.


   Mme Marthe Brischoux,
 ancienne habitante de Goumois
 

Pouviez-vous aller voir vos parents à Goumois ?

Oui, je pouvais aller à Goumois-France depuis Maîche. Il y avait un service de car et j’avais aussi un vélo.                    

Vous veniez souvent en vélo depuis Maîche ?

Chaque fois que j’avais congé. Je passais les   week-ends chez mes parents à Goumois-France.

Vous n’aviez pas peur ?

Non, je n’avais pas peur. Il y avait bien des contrôles allemands, mais je n’ai jamais été ennuyée.

Votre fiancé a-t-il préféré rester en Suisse pendant la guerre ?

Il était établi avec sa famille à Goumois-Suisse où nous avions une fabrique de boîtes de montres. Elle n'existe plus aujourd’hui.

Est-ce que vous pouviez communiquer avec lui ?

On avait le droit d’aller jusqu’à la barrière, sur le pont, et on se parlait par-dessus la rivière.

Est-ce que les Allemands vous surveillaient ?

Les Allemands nous contrôlaient avec les douaniers suisses. Donc on pouvait se parler, mais nous devions faire attention à ce que l’on disait.

Quelle distance vous séparait de votre mari ?

On était chacun d’un côté de la barrière. On pouvait se parler. On ne pouvait pas se serrer la main ni s’embrasser. Vous savez on n’a pas de beaux souvenirs de la guerre. Les jeunes qui n’ont pas vu la débâcle n’ont pas l’air de nous comprendre. Mais on en parle plus, les mauvais jours sont passés.

Comment s’est déroulé le départ des Allemands ?

Je sais que tous les habitants de Goumois-Suisse et Goumois-France se sont amassés sur le pont pour se réjouir de leur départ.


Doubs-frontière : Goumois, village franco-suisse
Salut au drapeau sur le pont de Goumois en août 1944. (© Collection Cachot)

Qui parle de village frontière, parle de douane et de douaniers. Les douaniers ont joué, jusqu’à ces derniers temps, un rôle économique non négligeable dans la vie du village, car ils avaient l’obligation d’y vivre durant leur période de service. Les nouvelles dispositions administratives n’exigent plus une telle disposition et les fonctionnaires sont libres aujourd’hui de choisir leur lieu de séjour, ce qui implique, du côté suisse du moins, des appartements désespérément vides. Il va sans dire qu’aujourd’hui, comme autrefois, la traque à la fraude reste le principal objectif des douaniers, mais ils opèrent de façon différente. Fidèles au poste, ils nous demandent parfois notre identité.

M. Thievent
Les douaniers de Goumois-Suisse nous ont aimablement dirigé vers l’un de leurs anciens collègues, André Thiévent, aujourd’hui à la retraite à Saignelégier. Il est originaire de la région et a été en poste à Goumois, il est donc parfaitement susceptible de répondre à nos interrogations. Nous avons pu le rencontrer les 9 décembre 2004 et 30 octobre 2006 à Saignelégier (extraits) :


            André Théveniet,  douanier retraité

Quel âge aviez-vous et qu’avez-vous vu en juin 1940 ?

J’avais 15 ans et j’ai vu toute la gamme de voitures qui descendait de France. À l’époque ils avaient vidé les parcs des Usines Peugeot. Alors il y avait entre 600 et 700 voitures sur 7 à 8 kilomètres. Et une chose m’est restée, pour que les Allemands ne puissent rien prendre, ils vidaient les magasins au passage. J’ai vu un car plein d’instruments de musique, d’accordéons, tout ce que vous voulez.

Tout ce matériel arrivait en Suisse ?

Oui, tout arrivait en Suisse. Cela concernait la partie route, car les piétons descendaient eux depuis Chaufour (à 5 kilomètres de la frontière) dans les champs. Ecoutez bien : il est arrivé la veille du 19 juin, je crois, un groupe de Spahis à la frontière du Chaufour et le lendemain matin, ils sont repartis sur le plateau de Maîche, donc du côté des Pleins et Grands Essarts. Là, ils se sont fait faucher par les Allemands. Il n'en est revenu même pas une dizaine ! Alors ceux-là sont redescendus à Soubez.

Vous avez été douanier ?

Oui, j’ai fait 37 ans de douane. J’étais en poste aux Brenets, à Morgins – deux hivers à 1750 mètres d'altitude – puis une année à Biaufond, Le Prévoux (NE) trois ans, et onze ans chef de poste à Goumois. Pour moi la vallée du Doubs est la plus belle frontière de Suisse.

Est-ce que vous avez des souvenirs de contrebande, de trafic ?

En Valais, à Morgins nous avons eu de la contrebande de bétail en 1952, à 2200 mètres ! C’était aussi l’époque du trafic des bas nylons, des feuilles à cigarettes et du tabac, que les gens venaient déclarer à la douane. Mais de ce genre de cas, je ne me souviens que de ceux de Morgins.

Avez-vous des anecdotes sur votre séjour à Goumois ?

Oui, par exemple pendant la période de la rage, un de mes agents, qui rentrait de service, a été agressé par le chien appartenant à des gens qui faisaient du camping à côté. Il lui a tiré une balle dans la tête et l’affaire est allée devant un tribunal. Comme nous sommes une organisation militaire, un juge militaire est venu me questionner. C’est un cas qu’on a superbement bien négocié et qui a fait figure d’exemple à l’école des douanes. Il a tiré parce que le chien était en liberté, alors qu’il devait être tenu en laisse, car nous étions en zone de protection contre la rage. Mon agent a tiré, mais le coup ne pouvait pas s’égarer n’importe où. On regarde toujours les choses sur le plan juridique, pour qu’on ne puisse pas nous attaquer. Sur le plan civil cette affaire est allée jusqu’au tribunal de Saignelégier, mais sur le plan militaire, elle a été classée. Nous avons même reçu des félicitations.

Enfant, alliez-vous souvent au Doubs ?

On allait se baigner dans le Doubs avec l’école, j’allais aussi à la pêche. Vous savez autrefois, on y allait pratiquement tout l’été, c’était la belle époque, on peut le dire. On braconnait aussi, on allait tirer les canards. Il y en avait une grande quantité sur le Doubs mais on ne les voyait jamais nicher à Soubey. On ne les voyait que lorsque les étangs d’Alsace étaient gelés.

Et les crues du Doubs ?

Lors d’une crue, je me souviens avoir été à l’hôtel du Doubs, et avoir vu dans la salle, le patron et trois autres personnes qui avaient mis leurs bottes de pêcheur jouer aux cartes !


Doubs-frontière : Goumois, village franco-suisse À même de répondre aux questions sur le passé et le présent du village de Goumois, les deux maires, Jeanne-Marie Taillard, pour la France et Jean-Marie Aubry pour la Suisse, ont cordialement reçu à la mairie le 8 décembre 2004 (extraits) :

 

Mme Jeann-Marie Taillard,  maire pour la France
M. Jean-Marie Aubry,  maire pour la Suisse

Combien y a-t-il d’habitants à Goumois-France et Goumois-Suisse ?

GF : En France, nous sommes actuellement 200. C’est une population qui triple en été, en raison de la fréquentation touristique.

GS : À Goumois-Suisse, nous sommes un peu moins heureux, parce qu’en baisse. Notre population s’élève à 99 habitants. On a perdu presque trente habitants en dix ans.

Comment expliquez-vous cela ?

GS : Il n’y a pas d’industrie tout simplement, et on a fermé la poste… Il n’y a plus les grandes familles que nous avions il y a quelques décennies. Et puis les jeunes s’en vont, il n’y a pas de débouchés ici.

GF : Je crois que la structure sociologique des deux communes était autrefois tout à fait similaire : c’étaient des familles paysannes. Or, je n’ai plus que trois familles paysannes. On a partagé les mêmes difficultés avec la disparition progressive des naissances masculines. En particulier, comme c’est un lieu frontière, la douane, aussi bien du côté suisse que du côté français, ne fait plus maintenant obligation à ses agents de résider sur leur lieu de travail. En France, il s’agissait de supprimer les occasions de concussion et de rechercher l’efficacité. De ce fait, dix ou douze familles sont parties, ce qui, pour un petit village, représente quelque chose d’important.

Et du côté Suisse ?

GS : Côté suisse, on compte un peu moins de départs : disons quatre familles de douaniers.

GF : C’est un facteur qui est pesant pour les petites collectivités. Quant à la poste, j’ai encore la chance d’avoir la mienne, la vôtre a été fermée l’année dernière. Avec les questions de restructuration je ne sais pas ce que l’avenir va donner.

Pour le moment, la nôtre est sauvée grâce à la fréquentation touristique, mais combien de temps cela durera-t-il ? Et puis par chance j’ai eu la bonne idée de faire des logements.

Compte tenu du travail frontalier qui a repris de manière substantielle assez récemment, grâce à l’installation d’une usine à Sonceboz qui emploie beaucoup de frontaliers, qui sont venus s’installer ici. Ces gens sont un peu des « étoiles filantes », et ce n’est pas très facile à gérer, mais un tiers a fondé des familles qui se sont installées au village. Pour moi, c’est très positif.

Doubs-frontière : Gomois, village franco-suisse

Quel est la nature des contacts entre les deux populations de Goumois-France et Goumois-Suisse ? Y a-t-il interaction entre les deux communautés ?

GF : Ils sont excellents, mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, ils étaient plus profonds et plus forts auparavant. Pour une raison très simple : Goumois a certes été coupé en deux, mais on a toujours eu la même église et le même cimetière. La pratique religieuse a servi pendant fort longtemps de ciment entre
                
Mairie de Goumois-France                     les communautés. Aujourd’hui, avec la baisse de la pratique religieuse, chacun vit un peu de son côté. Tout cela s’est un peu évaporé dans la nature. Du temps de ma génération par exemple, on allait tous ensemble à la messe et on se mariait de part et d’autre. Tandis qu’aujourd’hui on ne va plus à l’église ensemble. Il n’y a plus autant d’opportunités de se rencontrer. Alors Jean-Marie et moi essayons de maintenir ce lien. Mais je dois dire qu’à l’image de la communauté nationale française, les liens sociaux sont complètement éclatés. Mais nous avons gardé l’habitude de fêter tous Noël ensemble avec la population de plus de 65 ans. Et puis nous avons une petite garderie franco-suisse pour les enfants qui ne vont pas encore à l’école. Chacune son tour, les mamans en assument la garde une fois par semaine.

GS : Nous avons également quelques collaborations ponctuelles dans le domaine touristique, telles que des manifestations sportives et culturelles.

GF : Exemple : les Suisses célèbrent la fête du 1er août le 31 juillet au soir et nous, les Français, on se joint à eux et apportons une aide financière au feu d’artifice. Cela fait « fête du Doubs » plus qu’autre chose.

Est-ce que vous avez le sentiment qu’entre Goumois-Suisse et Goumois-France, la mentalité n’est pas la même ?

GF : Vous schématisez un peu trop. Ce que je trouve fascinant, c’est que la frontière reste un lieu où l’on va le dimanche. Qu’on le veuille ou non, ce qu’il y a de charmant c’est qu’on traverse le pont et qu’on est dans une autre civilisation pour goûter la différence.

À l’hôtel de chez Cachot, ce n’est pas du tout le même mode de faire que de l’autre côté. Il y a la longueur du pont ! Déjà les gens ne mangent plus pareil. En Suisse, on mange à toutes les heures du jour, on marche alors que nous, nous ne marchons pas ! Ils lisent plein de journaux et il y a plein de petites revues de presse au bout d’un bâton pendu. En France, c’est autre chose… Et l’accent aussi est différent.

GS : C’est la France, bien sûr. Ce que tu dis n’est pas faux. On a des bistrots aux frontières, des bistrots qui marchaient bien !

GF : Si tu demandes un café en Suisse, ce n’est pas le même café. Tu as ton petit « machin de crème ». Ce n’est pas comme chez nous, il n’y a rien à chipoter… Rien que pour cela les gens viennent. La séduction de la frontière, ce n’est pas uniquement administratif, mais quelque chose de purement culturel, d'affectif.

GS : Disons que l’on a de la chance à Goumois, parce que cela se conjugue. Il y a cette frontière et il y a cet excellent restaurant.

(Doubs-frontière : Goumois, village franco-suisse
Goumois, vue des ruines surplombant le village. Avril 2007.


En complément de cette étude on trouve quelques pages de souvenirs du lieutenant suisse Charles Kohli, et des extraits d’un rapport des gardes-frontière suisses de Goumois ainsi que des illustrations d’époque et quelques duplicata de cartes postales de la magnifique collection de Claude-Alain Cachot.

Doubs-frontière : Goumois, village franco-suisse

Des Franches-Montagnes en descendant vers Goumois, en 1895. (© Collection Cachot)

Une autre étude pourrait être réalisée sur les adeptes du camping, du canoë-kayak, des grandes randonnées, et bien sûr les pêcheurs à la mouche, sans oublier les gastronomes, tout ce monde qui se retrouve l’été sur les rives du Doubs. Pour l’instant on ne peut que vous conseiller le très intéressant et utile site Internet de Goumois et, bien sûr, la visite pour ceux qui ne le connaissent pas de ce joli petit village scindé par le Doubs.

Doubs-frontière : Goumois, village franco-suisse
En mai 2007, on remarque très nettement que les arbres sont plus nombreux !


Les auteurs :

Philippe Feune est né dans le Jura en 1955. Compositeur typographe de profession, il a voyagé pendant 10 ans à travers le monde, à la suite de quoi il a obtenu un certificat de bureau et commerce. Mordu d’histoire, il se passionne pour la Première Guerre mondiale et publie quelques livres et articles sur ce sujet, avant de se tourner vers la psychologie des profondeurs, ce qui l’amène naturellement à l’étude de l’histoire des religions et en particulier des sources sacrées.

 

Stephan Woollcombe  né en 1971  a conduit des études en lettres et a obtenu à l’Université de Lausanne une licence en lettres : histoire (branche principale) et russe. Par ailleurs, il est également détenteur d’un diplôme de journalisme et communications sociales. Il a en outre effectué un travail de licence  sur les prisonniers de guerre yougoslaves en Suisse durant la Seconde Guerre mondiale.

Doubs-frontière : Goumois, village franco-suisse
Terrasse de l'Hôtel du Doubs, Goumois Suisse


 80 pages A4, photos couleurs

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Avril 2007
 


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