Izaskum Gutierrez
Gestion de l'eau
dans la culture hors-sol
C'est dans
les années 1980 que la culture hors-sol s'est implantée en Suisse.
Partie de Genève, elle s'est ensuite propagée au Tessin, dans le canton
de Vaud, puis en Suisse alémanique. C'est une production rapide ainsi
qu'un rendement plus élevé qui a permis ce développement véloce.
Pourtant la culture hors-sol a, depuis son avènement, une image négative
auprès de la population : on pense à sa grande consommation d'énergie, à
la mauvaise qualité des produits, aux risques pour le consommateur et
pour l'environnement. Izaskum Gutierrez, ingénieur agronome diplômé de
l'Ecole d'ingénieur de Lullier à Genève, a eu pour but dans cette étude
d'expliquer ce qu'est une culture hors-sol, ses raisons, ses avantages
et ses inconvénients, ceci afin que chacun puisse se faire sa propre
opinion. Nous n'allons pas ici dévoiler l'entier de sa recherche mais
vous rendre compte de deux paragraphes qui répondent à deux questions :
Quels sont les avantages et les inconvénients du hors-sol ? Quel est
l'impact écologique d'une telle culture ?
Livraison de
plantes de jardins suspendus au Mexique © Julien Zaug
Laissons la
parole à Izaskum Gutierrez :
Quel profit
ou avantage pouvons-nous tirer de ce système de culture ? Et pourquoi
l’utiliser ? Les infrastructures sont à elles seules un avantage et un
inconvénient. Un inconvénient car au départ les investissements sont
immenses, les coûts d’entretien et les connaissances techniques
nécessaires pour le bon fonctionnement de la structure sont également
importants. Le principal avantage est la gestion du climat qui, par sa
maîtrise, permet une meilleure gestion de l’énergie et de la
productivité. La présence de ravageurs et de maladies étant aussi plus
faible, les traitements phytosanitaires sont réduits, la lutte
biologique est donc possible car elle est plus facile à gérer sous
serre.
En plus des
avantages que nous avons vu liés aux serres, la culture hors-sol peut
pallier à certains problèmes existant dans la culture traditionnelle,
comme la mauvaise qualité de la terre. Si celle-ci n’est pas arable,
qu’elle présente des maladies du sol ou une augmentation de la salinité,
la production est quand même possible avec la culture hors-sol. L’eau et
la fumure sont bien mieux gérées dans ces conditions.
De plus, non
seulement les lessivages sont évités mais des économies d’eau sont
faites. Cette meilleure gestion implique une meilleure croissance du
développement de la plante ainsi qu’une qualité supérieure du produit.
Cependant la récupération et le recyclage de l’eau sont une contrainte
du point de vue financier et technique. Financier à cause de
l’importance des infrastructures et technique parce que les plantes ont
des besoins différents selon leurs stades de végétation et aussi
d’autres paramètres.
Dans cette
technique culturale, les travaux sont simplifiés et peuvent même être
plus confortables pour les ouvriers. Les plantes étant à la bonne
hauteur, pas besoin de se baisser. Ce qui n’est pas négligeable pour les
personnes qui travaillent dans les serres plusieurs heures d’affilée et
des journées durant. L’augmentation du rendement et de la précocité des
récoltes permet au producteur de rester compétitif vis-à-vis des
produits importés.
Hors-sol : des conditions de récolte facilitées
Malgré
toutes les apparences, la culture hors-sol intégrant les solutions
recyclées reste une culture qui respecte l’environnement. Comment
peut-on affirmer cela ? Une technique culturale écologique tient compte
de l’environnement. Avec le recyclage, le non rejet du drainage riche en
nutriments dans la nature est essentiel. Il y a en plus une baisse de
consommation d’eau et d’engrais lors de la production. En ce qui
concerne la solution, les pertes sont énormes et provoquent une
pollution non négligeable. En effet, il faut tenir compte qu’il reste
des éléments nutritifs dans le drainage. Normalement le drainage
correspond à une supériorité de 20 ou 30% des besoins de la plante.
L’irrigation contrôlée permet une meilleure optimisation de
l’utilisation de l’eau et de la fertilisation. Il y a donc moins de
gaspillage d’énergie, d’eau et de fertilisants. Les plantes ont le
nécessaire pour une bonne croissance.
Système
d'irrigation goute à goutte
La
consommation d’énergie est aussi un point critique. Il est vrai que la
culture hors-sol consomme plus d’énergie que le mode de production
traditionnel. Mais pour les aliments produits hors saison, la culture
hors-sol reste le moyen le meilleur marché de s’en procurer. La
concurrence est très difficile avec les produits venant de l’étranger,
car ceux-ci sont cultivés dans des pays où les conditions et la main
d’œuvre sont moins chères. Nous constatons en Suisse que le taux
d’autosuffisance dans la production végétale était en 2004 de 45%. D’où
l’importance de rester dans le marché.
Une méthode
de culture durable ? Voyons les points qui peuvent amener la culture
hors-sol à l’être. Tout d’abord, la définition de durabilité. Dans
l’agriculture dite durable, l’utilisation des déchets recyclables est de
rigueur, le hors-sol correspond tout à fait. La diminution des intrants
et la limitation d’érosion et de dégradation des sols sont également
valables. La protection de la biodiversité et de la santé du
consommateur — comme du producteur — est possible avec une limitation
des produits phytosanitaires. Dans le hors-sol, la pression
phytosanitaire est réduite. Le danger pour les consommateurs ainsi que
pour l’environnement est donc restreint. Dans le terme de la durabilité,
il y a également le pôle humain et son bien-être. La simplification de
la culture hors-sol assure également de meilleures conditions de travail
pour la main-d’œuvre. Il est possible de dire que le hors-sol offre un
marché de proximité pour le consommateur et qu’il permet ainsi de
proposer des produits plus frais.
Mais la
structure des serres n’est-elle pas un problème en soi ? Sera-t-il
possible d’utiliser la terre par la suite ? N’y aura-t-il plus de
problème en ce qui concerne la fatigue des sols, la terre ne sera-t-elle
pas trop tassée ? Telles sont les questions en suspens pour répondre à
la définition de « durable ».
Il va sans
dire que les recherches menées par Izaskum Gutierrez se sont appuyées
sur les exploitants autant que sur les études scientifiques. C'est ainsi
qu'elle a rencontré au cours de l'été 2007 plusieurs exploitants de
culture hors-sol.
Extrait
de l’entretien avec Christian Matter , producteur à Oppens et Ependes :
Pouvez-vous nous décrire votre exploitation ? Quelle surface avez-vous
et combien de personnes employez-vous ?
Nous avons
25 ha de culture maraîchère en pleine terre et 2,5 ha sous serre, y
compris les abris couverts. Le personnel s’élève à environ 25 personnes
à l’année.
Que produisez-vous sur votre site d’Ependes ?
Nous
produisons des tomates, des concombres et une série de tomates
spéciales. Nous disposons d’un hectare de serres, cela représente 10’000
heures de travail sur l’ensemble de la culture par année.
Comment faites-vous pour connaître la durée optimale des arrosages ?
Il faut être
conscient que plus il y a de soleil, plus notre tomate est active. En
automne les jours sont courts et la lumière diminue, les plantes
nécessitent moins d’eau car elles ont moins d’activité. Les besoins en
eau sont liés à la température mais surtout à l’intensité lumineuse. La
nuit, en principe, peu de choses se passe. La quantité d’eau est un des
éléments important pour la tomate. Pour savoir comment régler ce
paramètre, nous contrôlons ce que nous appelons un « minimum de
drainage ». Nous ne savons pas exactement quelle sera la durée des
arrosages par rapport au stade de végétation. Alors nous essayons de
contrôler le drainage. Si nous voyons qu’il diminue, nous augmentons les
apports journaliers.
Désinfectez-vous le drainage ?
Oui, nous le
désinfectons. Avant d’être stockée dans le réservoir d’attente, l’eau
est traitée avec du Desogerm, qui ressemble à l’eau de javel. Ce même
produit est utilisé pour désinfecter les pieds dans le pédiluve à
l’entrée de la serre. À ce sujet, nous avons un conseiller qui nous
visite régulièrement. Il y a trois ans, nous désinfections avec de l’eau
de javel, mais il y a deux ans, nous avons changé de stratégie car nous
voulions aller plus loin dans le recyclage. Cette méthode fonctionne
bien. Il faut savoir que recycler le drainage nous fait prendre des
risques par rapport à certaines maladies.
Pour quelles raisons avez-vous choisi le hors-sol ?
Quand nous
avons repris ces serres, elles étaient utilisées pour l’horticulture et
avaient été abandonnées pendant 3 ou 4 ans et le sol était dur. Nous ne
connaissions pas leur teneur en résidus et il n’y avait plus de vie
microbienne. Le hors-sol est relativement cher à mettre en place ; la
raison principale est la difficulté de rotation des cultures. En effet,
si la culture de tomates est trop souvent répétée, nous aurons, par la
suite, des problèmes avec le sol. La culture raisonnée fonctionne bien
en hors-sol et nous pouvons également diminuer les interventions.
L’humidité est également mieux maîtrisée.
La tomate
convient particulièrement bien à la culture hors-sol
Nous avons
constaté que nous répondons mieux au marché car la culture hors-sol est
régulière. Si (2007) nous avions voulu produire de la tomate en pleine
terre, la récolte aurait été tardive, en tout cas, pas avant le mois
d’août. Nous aurions eu des problèmes de mildiou et il aurait fallu être
très préventifs en traitements. Avec des nuits fraîches, les tomates se
seraient sûrement fendues. La récolte se serait peut-être étalée sur 6 à
8 semaines, ce qui est très court. Avec les tomates produites sous abri,
il y a certes le problème des maladies du sol : le fait que les produits
sont de moins en moins homologués nous limite dans les traitements. Dès
lors, le consommateur aurait trouvé sur les étals des tomates importées,
alors que le Maroc et l’Espagne utilisent les mêmes techniques que nous.
Les tomates
n’aiment pas les températures trop élevées. C’est pourquoi en Espagne et
au Maroc, elles sont produites en hiver. En été, une fenêtre dans ce
marché se présente pour nous, avec une qualité optimale de tomates, les
températures étant excessives dans les pays du sud. Nous voyons très
souvent que, lorsque nous arrivons sur le marché au mois de mai, nos
tomates sont bienvenues. En effet, la qualité des tomates espagnoles ou
marocaines diminue. Cela est dû à des plantes plus vieilles et à des
conditions climatiques extrêmes.
Extrait
de l’entretien avec Christian Fasel, producteur à Penthéréaz :
Roland Fasel,
frère de Chistian
Pouvez-vous nous décrire votre entreprise ?
C’est une
exploitation agricole qui contient divers secteurs : agricole (environ
50 ha) ; production (environ 70 ares) de tomates et d’aubergines en été
et de rampon en hiver ; et enfin les endives, qui est le secteur
principal de l’exploitation (environ 35 ha). Par ailleurs, nous
effectuons des travaux pour des tiers, tels que épandage de chaux,
semis, traitement et mise en place de diverses cultures. Voilà nos
différentes activités, elles sont relativement diversifiées.
Combien de personnes employez-vous à l’année et combien en saison ?
Cette différence est-elle la principale contrainte de votre
exploitation ?
Nous sommes
7 personnes à l’année et à la haute saison nous arrivons à environ 23
personnes. C’est effectivement notre principale contrainte.
Est-ce que vous traitez votre eau ?
Non, nous
utilisons une eau non traitée. Nous travaillons essentiellement avec l’électroconductivité
(EC), la conductivité électrique de l’eau. À Penthéréaz nous avons une
EC naturelle de 0,5-0,6 à 0,8 selon la provenance de l’eau. En effet,
nous avons trois provenances : l’eau de Lausanne (pompée principalement
dans le Léman), nos propres sources et l’eau du réservoir de Poliez-Pittet
(eau du Jorat). Nous enrichissons cette eau d’éléments minéraux pour que
la conductivité monte aux environs de 1 sur la première phase du cycle
et au milieu de celui-ci. Pour la troisième et dernière phase, nous
n’enrichissons plus l’eau. Les réserves minérales que nous avons
apportées à l’eau s’épuisent naturellement. Souvent, nous rejetons une
eau qui a une conductivité plus basse que celle qui est entrée,
c’est-à-dire qu’elle monte à 0,4 – 0,5 EC, ce qui ne pose pas de
problème.
Quels sont les avantages du hors-sol ?
Pour
l’endive, les avantages sont tout d’abord la possibilité de maîtriser
complètement le climat de la chambre de pousse, principalement les
températures. C’est une somme de températures qui nous permet d’arriver
au stade de maturité de l’endive. Nous avons certaines connaissances qui
nous permettent d’estimer le cycle de production, qui est de 21 à 24
jours selon la saison. Quand la saison commence, au mois
d’octobre-novembre, il faut « pousser » l’endive qui est encore dans sa
phase « champ ». Au milieu de l’hiver, nous n’avons aucune peine à
obtenir un cycle de 21 jours parce qu’elle a été bien stockée et qu’elle
a des réserves. En fin d’hiver, dans la période avril-mai, c’est le
retour des beaux jours. Là, le cycle sera plutôt de 24 jours pour
freiner les axes. Un des autres avantages est la propreté de la culture.
Nous plantons toutes nos racines à la même hauteur et les endives ont
ainsi une pousse régulière et égale. Ce qui facilite le travail. En
pleine terre, il faudrait mettre sur les endives de la paille et des
bâches. C’est relativement compliqué et la pousse comme la durée du
cycle ne sont pas garanties.
Endives en cours
de forçage
Quels sont, selon, vous les désavantages du hors-sol ?
Principalement le coût de production, car il est plus élevé que pour une
production traditionnelle. Il y a en plus toute l’infrastructure : salle
de forçage, mise en eau, conduites, pompes, bacs pour recevoir les
racines, chauffage de l’eau, etc. Je dirais que le coût énergétique, en
comparaison à un système en pleine terre, est à mon avis un peu plus
élevé, mais beaucoup mieux ciblé par rapport au volume. À l’heure
actuelle, il nous faut moins d’énergie qu’avant par rapport aux kilos
produits. L’énergie n’est utilisée qu’au moment même où elle est
nécessaire dans le cycle.
Nous avons
une salle de 2400 à 2600 m3 que nous chauffons
essentiellement au début du cycle, lorsqu’elle n’est pas pleine. Une
fois qu’un « auto-climat » s’est installé avec la racine d’endive, le
chauffage est arrêté. L’endive est « auto-chauffante ». Souvent avec des
températures négatives à l’extérieur, nous arrivons à 16 à 17°C à
l’intérieur, sans chauffage.
Les rendements sont-ils plus élevés en hors-sol ?
Je ne dirais
pas que les rendements sont plus élevés, mais plutôt que nous avons une
meilleure régularité. Nous sommes plus linéaires dans le temps, vu que
nous maîtrisons le cycle. Mais, quand il y a un problème avec des
maladies, les pertes sont alors plus importantes qu’en pleine terre.
Pour les endives, le sol a disparu dans les années quatre-vingts –
quatre-vingt-cinq. En environ 25 ans, les rendements ont augmenté de 10
%. Cela est non seulement dû à une meilleure connaissance des cycles
mais également à l’amélioration variétale. Dans cette augmentation, la
part du hors-sol et la part génétique sont très difficiles à distinguer.
Les lignées d’autrefois n’existent, pour ainsi dire, presque plus, il
n’y a plus aujourd’hui que des variétés qui conviennent au hors-sol.
Serres de Fasel
frères à Ependes. Culture sous-serre et culture traditionnelle
coexistent dans la plaine de l'Orbe
La qualité des produits est-elle meilleure ?
En environ
25 ans la qualité a augmenté, nos partenaires commerciaux sont très
exigeants à ce sujet. Nous avons une qualité qui est au rendez-vous,
même si le taux de déchets est relativement important, parce que seul le
meilleur du produit peut aller sur le marché, le reste ne peut plus être
commercialisé. Nous pouvons donc parler de 20 à 25% de déchets, ce qui
est énorme.
Est-ce que les consommateurs ont une réticence par rapport au hors-sol ?
Je ne crois
pas. C’est une technique qui a pu faire peur à l’époque parce qu’ils
pensaient que nous faisions un peu n’importe quoi. Nous sommes passés
d’un support solide, la terre, à un support liquide, l’eau. Les éléments
fertilisants qui se trouvent dans la terre se transportent maintenant
dans l’eau par une forme minérale assimilable. Nous avons une meilleure
écologie avec le hors-sol parce que nous apportons uniquement ce dont la
plante a besoin en éléments minéraux. Dans la pleine terre, nous
apportons un complément et la manière dont les éléments minéraux sont
distribués dépend du complexe argilo-humique. A mon avis, nous avons là
des arguments à faire valoir pour le hors-sol.
Pour ma part
le consommateur n’a aucune raison d’avoir peur. Je fais visiter mon
exploitation. Il y a environ 200 à 250 personnes qui viennent par hiver
lorsque nous sommes en pleine production. C’est la légitimité du
consommateur d’avoir des légumes sains. En tant que producteur, il ne
faut pas non plus être réticent au hors-sol. C’est une technique qui est
là et c’est une technique d’avenir.
Pensez-vous que la culture hors-sol est une démarche écologique et
durable ?
Oui,
j’estime que, par rapport à ce que j’ai dit auparavant, le hors-sol est
écologique et durable. Il est et sera incontournable. Produire ce que
nous produisons en hors-sol, en pleine terre, n’est plus possible de nos
jours. Non seulement au niveau de la main d’œuvre, mais aussi pour une
certaine sécurité d’approvisionnement. Les grandes surfaces l’ont
compris. Il y a quelques années, elles ne mettaient pas en avant le
hors-sol mais maintenant elles osent le faire.
Extrait
de l’entretien avec Hervé Chabanel, producteur à Allens :
Pourriez-vous me donner quelques précisions sur votre entreprise ?
Il s’agit
d’une exploitation familiale. Nous possédons des serres depuis 1992, et
depuis 2001, nous avons commencé la
culture hors-sol. Je travaille essentiellement avec mon père et ma mère.
Depuis quelques années, durant les mois de juin et juillet, une personne
vient nous aider. Cette année 2007, nous avons eu un supplément de
travail à cause de la variété de tomates choisie, la tomate grappe, dont
la présentation doit être parfaite.
Que produisez-vous ?
En hors-sol,
nous disposons de 2700 m2 de serres où nous produisons
uniquement des tomates, essentiellement la variété grappe, pour nos
clients, Coop et Migros entre autres. Nous produisons également pour la
vente directe et pour nous-mêmes, des tomates rondes, charnues, cherry,
jaunes ou encore des lignées, c’est-à-dire non hybrides. Sinon en pleine
terre, sur une surface de 37 ha, nous cultivons également le colza,
l’orge, le pois, le blé. Autrefois, nous produisions aussi des pommes de
terre.
Les serres d'H.
Chabanel
Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez choisi le hors-sol ?
Nous avons
commencé à produire en hors-sol à cause de problèmes racinaires ainsi
que de rendement. Au début, nous étions réticents face à cette technique
culturale, beaucoup disaient que le hors-sol était techniquement
difficile. Pour nous, la culture en pleine terre fonctionnait bien.
Lorsque nous avons subi des baisses de rendement, nous n’avons pas eu le
choix, il a fallu changer notre technique. Finalement, nous nous sommes
rendu compte que le hors-sol n’est pas aussi difficile à appliquer que
nous le pensions.
Procédez-vous à une désinfection de votre eau ?
Non, car
l’eau du réseau est une eau propre. Beaucoup de producteurs utilisent
des systèmes de désinfection divers et variés, mais à ma connaissance
avec un succès modeste.
N’avez-vous
pas plus de risques de maladies en ne désinfectant pas l’eau ?
Nous avons
choisi une autre option, celle d’injecter dans le pain, au début de la
culture, des produits contenant des micro-organismes naturels de la
terre. Ils évitent que des champignons pathogènes se développent dans le
pain en « occupant le terrain ». Il me semble que c’est assez efficace.
Quand le technicien vient vérifier les racines, elles sont en très bonne
santé. Nous n’avons donc pas de problème de maladies au niveau des
racines.
Ressentez-vous une réticence de la part du consommateur face à ce mode
de culture, lors de la vente directe ?
Parmi les
acheteurs en direct, peu sont réticents. Alors que nos gros clients Coop
ou Migros sont évidemment plus curieux, se demandant ce que nous mettons
dans l’eau d’irrigation. Ils pensent que ce sont des plantes sous
perfusion ! Mais c’est parce qu’ils ne connaissent pas bien le hors-sol.
En effet, les racines fonctionnent correctement et prélèvent les
éléments minéraux tout à fait normalement. Les clients qui viennent à la
vente directe viennent principalement pour le prix, ainsi que pour la
qualité, surtout au niveau du goût. Mais il est vrai que certains
s’inquiètent plus des traitements qui ont été effectués qu’à la
technique hors-sol proprement dite.
Production de H.
Chabanel
Avez-vous
noté une économie d’eau ou d’engrais ?
Par rapport
à la culture traditionnelle, les économies que nous faisons en hors-sol
sont de l’ordre de 30% pour l’eau et 40% pour les engrais. Cela
correspond au recyclage, car les 30% du drainage sont remis dans le
circuit d’irrigation. Mais cela dépend aussi de la météo. S’il fait beau
et chaud, il y aura 30 à 40% de drainage, si le temps est couvert il y
en aura presque plus. En effet, les tomates ne supportent pas un excès
d’eau dans les pains, qui provoque un manque d’oxygène, et il y a des
risques de maladies.
Ce sont des
économies intéressantes. L’eau, pour l’instant, n’est pas trop chère
mais elle pourrait le devenir et c’est une denrée à préserver. En ce qui
concerne les engrais, c’est également très intéressant financièrement.
Que
pensez-vous de « la culture hors-sol, une démarche écologique et
durable » ?
Ça me parait
tout à fait évident car il y a peu de problèmes écologiques, puisque
nous sommes dans un système fermé et qu’il y a peu de rejets dans
l’environnement. Peut-être y aurait-il un souci avec la surface
couverte, nous pourrions très bien récupérer l’eau de pluie pour
irriguer la culture, mais financièrement ce n’est pas encore
intéressant.
Un
dernier entretien a eu lieu le 16 août 2007, non pas avec un producteur
mais avec M. Pascal Sigg un ingénieur de la station fédéral de Conthey,
dont le but de la recherche permet aux producteurs d'améliorer leur
technique de culture.
Quel est
exactement votre rôle ?
Au niveau de
la recherche, mon rôle consiste à conduire des projets, en collaboration
avec mes collègues, à mettre en place les essais, je m'occupe également
de la formation des apprentis de notre groupe. À la fin de l'année, nous
éditons un rapport d'activités afin de communiquer les résultats
obtenus. Nous faisons également des publications dans des revues
scientifiques et de vulgarisation, afin de communiquer à plus large
échelle les résultats de nos travaux.
Sur quels
types de projets travaillez-vous ?
Au sein d'Agroscope,
les projets de recherche sont définis sur une période de 4 ans.
Actuellement, nous terminons les projets de la tranche 2003-2007. Les
idées de projet viennent à la fois de l'interne, des producteurs ou des
organisations de professionnels. Chaque branche a un forum de recherche
qui regroupe ses différents acteurs (producteurs, organisations, offices
techniques et chercheurs) qui définissent les thèmes de recherche et
priorisent les sujets retenus. Ce sont des projets qui sont donc en
phase avec la pratique. Nous faisons de la recherche appliquée afin
d'apporter directement ces résultats chez les producteurs. Actuellement,
une partie de nos essais tournent autour d’un grand thème qui est
l’économie d’énergie. Ceci est dû, entre autres, à l’augmentation du
prix du pétrole. Comme l’énergie est un poste important au niveau des
frais de production, il est intéressant d’utiliser le moins de mazout
possible. Nous travaillons aussi sur d'autres thèmes comme la lutte
biologique sous serre, diverses techniques culturales et la
diversification en plantes ornementales.
Que
pouvez-vous dire du développement de la culture hors-sol ?
La technique
du hors-sol a été introduite en Europe dans les années septante ;
appliquée à quelques cultures maraîchères et florales sous serres, elle
s’est ensuite développée de façon assez rapide chez les producteurs.
Nous sommes arrivés à un niveau où la technique fonctionne très bien,
les résultats sont bons et le système cultural est bien répandu dans la
pratique. Ce que nous développons actuellement pour les cultures
hors-sol concerne la gestion climatique, l'irrigation et l'assortiment
variétal. Ceci axé sur une économie de l'énergie et des intrants
utilisés (eau, engrais, substrats, …).
Qu’est-ce
qu’apporte, selon vous, la culture hors-sol dans la culture maraîchère
d’aujourd’hui, par rapport à une culture traditionnelle ?
Nous avons
un meilleur rendement à la surface. Pour la pleine terre, avec une
plantation début mars et un arrachage fin septembre début octobre, nous
arrivons à 40 ou 45 kg par m2, par année. En hors-sol, la
production s’élève à 50 ou 60 kg par m2 par année. Le
rendement est donc bien supérieur. Le hors-sol correspond à 20% de la
production de tomates en serre et à 50% de son volume de production
global. De plus, la durée de la culture hors-sol est aujourd’hui plus
importante. En effet, les producteurs plantent dès début janvier et
arrachent la culture 10 mois plus tard. Ils ont juste le temps de
nettoyer la serre pour ensuite replanter une nouvelle culture. La
rentabilisation des structures est meilleure et l’inutilisation de la
serre est plus courte qu’en pleine terre. En hors-sol, il y a un
meilleur contrôle de l’irrigation et de la fumure. La qualité du fruit
est donc meilleure. En pleine terre, un des problèmes les plus
importants est le sol lui-même. En effet, sa gestion au niveau de
l'irrigation et de la fertilisation est moins évidente qu'en hors-sol,
malgré le fait qu'il "pardonne" facilement les erreurs. De plus, on ne
peut se débarrasser de tous les risques de maladies et ravageurs.
Ce type de
culture est-il particulièrement « rentable » ? Quel est selon vous
l’état du marché ?
Malgré les
coûts en infrastructure plus élevés, la culture hors-sol est rentable.
Ceci peut être expliqué en partie par son meilleur rendement. Ce
rendement est assuré par une meilleure gestion de l'irrigation, de la
fumure et de la température au niveau des racines des plantes. De plus,
à variété égale la qualité des fruits produits est souvent meilleure que
ceux produit en pleine terre. Ce qui peut permettre au producteur
d'avoir un débouché assuré pour sa marchandise. Les prix, selon la
Centrale de culture maraîchère, sont arrivés à un plateau, entre 2,80 et
3,20.francs le kilo au magasin. Il n’y a que peu de perspectives
d’augmentation. Cela permet aux producteurs de vendre leur production
entre 1.50 et 2 francs le kilo pour la tomate grappe, ce qui est
acceptable.
Quelle est
l’importance de la gestion de l’eau dans ce type de culture ?
La
disponibilité régulière en eau est très importante pour une culture sur
substrat, car les volumes de racines et de substrat sont faibles. Une
culture de tomates en été ne tiendrait pas 2 heures sans arrosage. Je
dirais que la gestion de l’eau dans la culture hors-sol est optimale car
nous savons exactement le volume d’eau à utiliser pour l’irrigation, le
volume du drainage et le volume du drainage réutilisé. Les pertes en eau
dans le sol n’existent pour ainsi dire pas. La seule perte que nous
avons en culture hors-sol, qui elle est élevée, c’est la transpiration
des plantes, elle représente près de 70% des apports en eau.
Plants de tomates
© P. Sigg ACW
Pensez-vous
que les consommateurs sont bien informés sur le sujet ?
Je dirais
que le consommateur est mal informé au sujet des cultures hors-sol.
Souvent, quand nous parlons de hors-sol, les gens deviennent méfiants.
Lorsqu'ils mangent une tomate provenant d'une culture hors-sol, ils ont
l’impression de manger un produit artificiel qui a été gonflé aux
hormones et rempli de produits chimiques. Il y a quelques années une
étude a été faite, sur une comparaison de tomates de variétés égales
entre pleine terre, hors-sol et culture dans les jardins familiaux. Les
tomates sous serre arrivaient nettement en meilleure position et le
consommateur n’arrivait pas à distinguer une différence entre une tomate
issue d'une culture hors-sol et une tomate issue d'une culture de pleine
terre. Au début, l'image du hors-sol a souffert des variétés de tomates
utilisées. En effet, les critères de qualité recherchés étaient la
résistance au transport et la longévité sur l’étalage. Cela a donné pour
résultat des tomates de mauvaise qualité gustative. Maintenant, les
variétés sont à la fois de bonne qualité gustative et de bonne
conservation.
La culture
hors-sol est-elle une démarche écologique et durable ?
La culture
hors-sol n’est peut-être pas écologique au sens propre du terme, surtout
si nous utilisons des engrais de synthèse. On a déjà abordé le problème
de l'eau, mais la protection phytosanitaire est nettement réduite. Des
insectes et acariens auxiliaires sont utilisés pour lutter contre les
ravageurs et les traitements fongicides sont presque inexistants de par
la bonne gestion climatique des serres. Un petit bémol subsiste, le
chauffage. Ce problème est loin d'être insoluble, mais au prix d'un
investissement élevé, en optant pour des énergies alternatives comme le
bois par exemple. Certains producteurs sont même devenus des producteurs
d'énergie dans certaines régions en revendant l'électricité produite par
des moteurs fonctionnant au gaz naturel. Les serres sont chauffées avec
la chaleur créée par les moteurs. Mais est-ce que le hors-sol est
durable ? Sûrement, surtout si la production se situe en Suisse afin de
limiter les coûts de transport et en chauffant les serres de façon
écologique.
Que
diriez-vous pour conclure ? Optimiste, pessimiste ?
Je suis
optimiste, surtout en sachant que la tomate est le fruit-légume le plus
consommé en Suisse et dans le monde. Pour les producteurs, deux
solutions se présentent à eux. Premièrement, produire de la tomate de
bonne qualité gustative en se donnant les moyens techniques, la
structure et le savoir-faire. Deuxièmement se diversifier et produire
des produits de niche, afin de garder un volume de production
satisfaisant. À un moment donné, la tomate grappe était un produit de
niche, et maintenant sa production représente le double de la tomate
ronde et elle correspond également à la moitié de la production suisse.
Malgré l’ouverture des frontières, le producteur suisse n’aura pas de
problème si le scénario se déroule comme en Autriche.
Quelques
mots de conclusions terminent cette étude de Izaskum Gutierrez :
Des éléments
ont été apportés afin de mieux comprendre cette technique de culture et
des producteurs ont donné leur avis par rapport à leur expérience dans
ce domaine. Grâce à leur témoignage, nous pouvons mieux cerner les
difficultés auxquelles ils sont confrontés. La pression qu’ils subissent
vient de tous les côtés : concurrence, clients, consommateurs, etc., il
leur est nécessaire de faire un compromis et un équilibre entre ces
différents acteurs. Nous comprenons ainsi mieux de quelle manière
travaillent les producteurs et le pourquoi de ce choix. Sentir que
finalement il n’y a rien « d’effrayant » et que la culture hors-sol n’a
rien à voir avec tout ce qui peut être imaginé tel que les manipulations
génétiques ou autres.
L’eau a une
place importante pour la vie des plantes, et nous le remarquons bien
avec les cultures hors-sol. Elles dépendent principalement de l’eau qui
est la source de leur alimentation. L’agriculture étant le domaine qui
consomme le plus d’eau, il est important de trouver des solutions pour
économiser ce bien précieux. Le recyclage permet une meilleure
préservation de l’environnement et la qualité des produits est également
préservée. Il serait intéressant de pouvoir valoriser cette technique
dans cette optique.
48 pages A4, photos couleurs
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Septembre 2007.
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