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Izaskum Gutierrez
Gestion de l'eau
dans la culture hors-sol


 

C'est dans les années 1980 que la culture hors-sol s'est implantée en Suisse. Partie de Genève, elle s'est ensuite propagée au Tessin, dans le canton de Vaud, puis en Suisse alémanique. C'est une production rapide ainsi qu'un rendement plus élevé qui a permis ce développement véloce. Pourtant la culture hors-sol a, depuis son avènement, une image négative auprès de la population : on pense à sa grande consommation d'énergie, à la mauvaise qualité des produits, aux risques pour le consommateur et pour l'environnement. Izaskum Gutierrez, ingénieur agronome diplômé de l'Ecole d'ingénieur de Lullier à Genève, a eu pour but dans cette étude d'expliquer ce qu'est une culture hors-sol, ses raisons, ses avantages et ses inconvénients, ceci afin que chacun puisse se faire sa propre opinion. Nous n'allons pas ici dévoiler l'entier de sa recherche mais vous rendre compte de deux paragraphes qui répondent à deux questions : Quels sont les avantages et les inconvénients du hors-sol ? Quel est l'impact  écologique d'une telle culture ?

 

Livraison de plantes de jardins suspendus au Mexique © Julien Zaug

 

Laissons la parole à Izaskum Gutierrez :

Quel profit ou avantage pouvons-nous tirer de ce système de culture ? Et pourquoi l’utiliser ? Les infrastructures sont à elles seules un avantage et un inconvénient. Un inconvénient car au départ les investissements sont immenses, les coûts d’entretien et les connaissances techniques nécessaires pour le bon fonctionnement de la structure sont également importants. Le principal avantage est la gestion du climat qui, par sa maîtrise, permet une meilleure gestion de l’énergie et de la productivité. La présence de ravageurs et de maladies étant aussi plus faible, les traitements phytosanitaires sont réduits, la lutte biologique est donc possible car elle est plus facile à gérer sous serre.

En plus des avantages que nous avons vu liés aux serres, la culture hors-sol peut pallier à certains problèmes existant dans la culture traditionnelle, comme la mauvaise qualité de la terre. Si celle-ci n’est pas arable, qu’elle présente des maladies du sol ou une augmentation de la salinité, la production est quand même possible avec la culture hors-sol. L’eau et la fumure sont bien mieux gérées dans ces conditions. 

 

Récolte facilitéeDe plus, non seulement les lessivages sont évités mais des économies d’eau sont faites. Cette meilleure gestion implique une meilleure croissance du développement de la plante ainsi qu’une qualité supérieure du produit. Cependant la récupération et le recyclage de l’eau sont une contrainte du point de vue financier et technique. Financier à cause de l’importance des infrastructures et technique parce que les plantes ont des besoins différents selon leurs stades de végétation et aussi d’autres paramètres.

Dans cette technique culturale, les travaux sont simplifiés et peuvent même être plus confortables pour les ouvriers. Les plantes étant à la bonne hauteur, pas besoin de se baisser. Ce qui n’est pas négligeable pour les personnes qui travaillent dans les serres plusieurs heures d’affilée et des journées durant. L’augmentation du rendement et de la précocité des récoltes permet au producteur de rester compétitif vis-à-vis des produits importés.

               Hors-sol : des conditions de récolte facilitées

Malgré toutes les apparences, la culture hors-sol intégrant les solutions recyclées reste une culture qui respecte l’environnement. Comment peut-on affirmer cela ? Une technique culturale écologique tient compte de l’environnement. Avec le recyclage, le non rejet du drainage riche en nutriments dans la nature est essentiel. Il y a en plus une baisse de consommation d’eau et d’engrais lors de la production. En ce qui concerne la solution, les pertes sont énormes et provoquent une pollution non négligeable. En effet, il faut tenir compte qu’il reste des éléments nutritifs dans le drainage. Normalement le drainage correspond à une supériorité de 20 ou 30% des besoins de la plante. L’irrigation contrôlée permet une meilleure optimisation de l’utilisation de l’eau et de la fertilisation. Il y a donc moins de gaspillage d’énergie, d’eau et de fertilisants. Les plantes ont le nécessaire pour une bonne croissance.

 

Système d'irrigation goute à goutte

 

La consommation d’énergie est aussi un point critique. Il est vrai que la culture hors-sol consomme plus d’énergie que le mode de production traditionnel. Mais pour les aliments produits hors saison, la culture hors-sol reste le moyen le meilleur marché de s’en procurer. La concurrence est très difficile avec les produits venant de l’étranger, car ceux-ci sont cultivés dans des pays où les conditions et la main d’œuvre sont moins chères. Nous constatons en Suisse que le taux d’autosuffisance dans la production végétale était en 2004 de 45%. D’où l’importance de rester dans le marché.

Une méthode de culture durable ? Voyons les points qui peuvent amener la culture hors-sol à l’être. Tout d’abord, la définition de durabilité. Dans l’agriculture dite durable, l’utilisation des déchets recyclables est de rigueur, le hors-sol correspond tout à fait. La diminution des intrants et la limitation d’érosion et de dégradation des sols sont également valables. La protection de la biodiversité et de la santé du consommateur — comme du producteur — est possible avec une limitation des produits phytosanitaires. Dans le hors-sol, la pression phytosanitaire est réduite. Le danger pour les consommateurs ainsi que pour l’environnement est donc restreint. Dans le terme de la durabilité, il y a également le pôle humain et son bien-être. La simplification de la culture hors-sol assure également de meilleures conditions de travail pour la main-d’œuvre. Il est possible de dire que le hors-sol offre un marché de proximité pour le consommateur et qu’il permet ainsi de proposer des produits plus frais.

Mais la structure des serres n’est-elle pas un problème en soi ? Sera-t-il possible d’utiliser la terre par la suite ? N’y aura-t-il plus de problème en ce qui concerne la fatigue des sols, la terre ne sera-t-elle pas trop tassée ? Telles sont les questions en suspens pour répondre à la définition de « durable ».

Il va sans dire que les recherches menées par Izaskum Gutierrez se sont appuyées sur les exploitants autant que sur les études scientifiques. C'est ainsi qu'elle a rencontré au cours de l'été 2007 plusieurs exploitants de culture hors-sol.

 


 

 

Extrait de l’entretien avec Christian Matter , producteur à Oppens et Ependes :

 

 

 

 

 

Pouvez-vous nous décrire votre exploitation ? Quelle surface avez-vous et combien de personnes employez-vous ?

Nous avons 25 ha de culture maraîchère en pleine terre et 2,5 ha sous serre, y compris les abris couverts. Le personnel s’élève à environ 25 personnes à l’année.

Que produisez-vous sur votre site d’Ependes ?

Nous produisons des tomates, des concombres et une série de tomates spéciales. Nous disposons d’un hectare de serres, cela représente 10’000 heures de travail sur l’ensemble de la culture par année.

Comment faites-vous pour connaître la durée optimale des arrosages ?

Il faut être conscient que plus il y a de soleil, plus notre tomate est active. En automne les jours sont courts et la lumière diminue, les plantes nécessitent moins d’eau car elles ont moins d’activité. Les besoins en eau sont liés à la température mais surtout à l’intensité lumineuse. La nuit, en principe, peu de choses se passe. La quantité d’eau est un des éléments important pour la tomate. Pour savoir comment régler ce paramètre, nous contrôlons ce que nous appelons un « minimum de drainage ». Nous ne savons pas exactement quelle sera la durée des arrosages par rapport au stade de végétation. Alors nous essayons de contrôler le drainage. Si nous voyons qu’il diminue, nous augmentons les apports journaliers.

Désinfectez-vous le drainage ?

Oui, nous le désinfectons. Avant d’être stockée dans le réservoir d’attente, l’eau est traitée avec du Desogerm, qui ressemble à l’eau de javel. Ce même produit est utilisé pour désinfecter les pieds dans le pédiluve à l’entrée de la serre. À ce sujet, nous avons un conseiller qui nous visite régulièrement. Il y a trois ans, nous désinfections avec de l’eau de javel, mais il y a deux ans, nous avons changé de stratégie car nous voulions aller plus loin dans le recyclage. Cette méthode fonctionne bien. Il faut savoir que recycler le drainage nous fait prendre des risques par rapport à certaines maladies.

Pour quelles raisons avez-vous choisi le hors-sol ?

Quand nous avons repris ces serres, elles étaient utilisées pour l’horticulture et avaient été abandonnées pendant 3 ou 4 ans et le sol était dur. Nous ne connaissions pas leur teneur en résidus et il n’y avait plus de vie microbienne. Le hors-sol est relativement cher à mettre en place ; la raison principale est la difficulté de rotation des cultures. En effet, si la culture de tomates est trop souvent répétée, nous aurons, par la suite, des problèmes avec le sol. La culture raisonnée fonctionne bien en hors-sol et nous pouvons également diminuer les interventions. L’humidité est également mieux maîtrisée.

 Tomates grappe

La tomate convient particulièrement bien à la culture hors-sol

Nous avons constaté que nous répondons mieux au marché car la culture hors-sol est régulière. Si (2007) nous avions voulu produire de la tomate en pleine terre, la récolte aurait été tardive, en tout cas, pas avant le mois d’août. Nous aurions eu des problèmes de mildiou et il aurait fallu être très préventifs en traitements. Avec des nuits fraîches, les tomates se seraient sûrement fendues. La récolte se serait peut-être étalée sur 6 à 8 semaines, ce qui est très court. Avec les tomates produites sous abri, il y a certes le problème des maladies du sol : le fait que les produits sont de moins en moins homologués nous  limite dans les traitements. Dès lors, le consommateur aurait trouvé sur les étals des tomates importées, alors que le Maroc et l’Espagne utilisent les mêmes techniques que nous.

 

Les tomates n’aiment pas les températures trop élevées. C’est pourquoi en Espagne et au Maroc, elles sont produites en hiver. En été, une fenêtre dans ce marché se présente pour nous, avec une qualité optimale de tomates, les températures étant excessives dans les pays du sud. Nous voyons très souvent que, lorsque nous arrivons sur le marché au mois de mai, nos tomates sont bienvenues. En effet, la qualité des tomates espagnoles ou marocaines diminue. Cela est dû à des plantes plus vieilles et à des conditions climatiques extrêmes.

  


 

Roland Fasel, frère de Christian

 

Extrait de l’entretien avec Christian Fasel, producteur à Penthéréaz :

 

 

 

 

Roland Fasel, frère de Chistian                

Pouvez-vous nous décrire votre entreprise ?

C’est une exploitation agricole qui contient divers secteurs : agricole (environ 50 ha) ; production (environ 70 ares) de tomates et d’aubergines en été et de rampon en hiver ; et enfin les endives, qui est le secteur principal de l’exploitation (environ 35 ha). Par ailleurs, nous effectuons des travaux pour des tiers, tels que épandage de chaux, semis, traitement et mise en place de diverses cultures. Voilà nos différentes activités, elles sont relativement diversifiées.

Combien de personnes employez-vous à l’année et combien en saison ? Cette différence est-elle la principale contrainte de votre exploitation ?

Nous sommes 7 personnes à l’année et à la haute saison nous arrivons à environ 23 personnes. C’est effectivement notre principale contrainte.

Est-ce que vous traitez votre eau ?

Non, nous utilisons une eau non traitée. Nous travaillons essentiellement avec l’électroconductivité (EC), la conductivité électrique de l’eau. À Penthéréaz nous avons une EC naturelle de 0,5-0,6 à 0,8 selon la provenance de l’eau. En effet, nous avons trois provenances : l’eau de Lausanne (pompée principalement dans le Léman), nos propres sources et l’eau du réservoir de Poliez-Pittet (eau du Jorat). Nous enrichissons cette eau d’éléments minéraux pour que la conductivité monte aux environs de 1 sur la première phase du cycle et au milieu de celui-ci. Pour la troisième et dernière phase, nous n’enrichissons plus l’eau. Les réserves minérales que nous avons apportées à l’eau s’épuisent naturellement. Souvent, nous rejetons une eau qui a une conductivité plus basse que celle qui est entrée, c’est-à-dire qu’elle monte à 0,4 – 0,5 EC, ce qui ne pose pas de problème.

Quels sont les avantages du hors-sol ?

Pour l’endive, les avantages sont tout d’abord la possibilité de maîtriser complètement le climat de la chambre de pousse, principalement les températures. C’est une somme de températures qui nous permet d’arriver au stade de maturité de l’endive. Nous avons certaines connaissances qui nous permettent d’estimer le cycle de production, qui est de 21 à 24 jours selon la saison. Quand la saison commence, au mois d’octobre-novembre, il faut « pousser » l’endive qui est encore dans sa phase « champ ». Au milieu de l’hiver, nous n’avons aucune peine à obtenir un cycle de 21 jours parce qu’elle a été bien stockée et qu’elle a des réserves. En fin d’hiver, dans la période avril-mai, c’est le retour des beaux jours. Là, le cycle sera plutôt de 24 jours pour freiner les axes. Un des autres avantages est la propreté de la culture. Nous plantons toutes nos racines à la même hauteur et les endives ont ainsi une pousse régulière et égale. Ce qui facilite le travail. En pleine terre, il faudrait mettre sur les endives de la paille et des bâches. C’est relativement compliqué et la pousse comme la durée du cycle ne sont pas garanties.

 

Endives en cours de forçage

Endives en cours de forçage

 

Quels sont, selon, vous les désavantages du hors-sol ?

Principalement le coût de production, car il est plus élevé que pour une production traditionnelle. Il y a en plus toute l’infrastructure : salle de forçage, mise en eau, conduites, pompes, bacs pour recevoir les racines, chauffage de l’eau, etc. Je dirais que le coût énergétique, en comparaison à un système en pleine terre, est à mon avis un peu plus élevé, mais beaucoup mieux ciblé par rapport au volume. À l’heure actuelle, il nous faut moins d’énergie qu’avant par rapport aux kilos produits. L’énergie n’est utilisée qu’au moment même où elle est nécessaire dans le cycle.

Nous avons une salle de 2400 à 2600 m3 que nous chauffons essentiellement au début du cycle, lorsqu’elle n’est pas pleine. Une fois qu’un « auto-climat » s’est installé avec la racine d’endive, le chauffage est arrêté. L’endive est « auto-chauffante ». Souvent avec des températures négatives à l’extérieur, nous arrivons à 16 à 17°C à l’intérieur, sans chauffage.

Les rendements sont-ils plus élevés en hors-sol ?

Je ne dirais pas que les rendements sont plus élevés, mais plutôt que nous avons une meilleure régularité. Nous sommes plus linéaires dans le temps, vu que nous maîtrisons le cycle. Mais, quand il y a un problème avec des maladies, les pertes sont alors plus importantes qu’en pleine terre. Pour les endives, le sol a disparu dans les années quatre-vingts – quatre-vingt-cinq. En environ 25 ans, les rendements ont augmenté de 10 %. Cela est non seulement dû à une meilleure connaissance des cycles mais également à l’amélioration variétale. Dans cette augmentation, la part du hors-sol et la part génétique sont très difficiles à distinguer. Les lignées d’autrefois n’existent, pour ainsi dire, presque plus, il n’y a plus aujourd’hui que des variétés qui conviennent au hors-sol.

 

Terre et serre

Serres de Fasel frères à Ependes. Culture sous-serre et culture traditionnelle coexistent dans la plaine de l'Orbe

 

La qualité des produits est-elle meilleure ?

En environ 25 ans la qualité a augmenté, nos partenaires commerciaux sont très exigeants à ce sujet. Nous avons une qualité qui est au rendez-vous, même si le taux de déchets est relativement important, parce que seul le meilleur du produit peut aller sur le marché, le reste ne peut plus être commercialisé. Nous pouvons donc parler de 20 à 25% de déchets, ce qui est énorme.

Est-ce que les consommateurs ont une réticence par rapport au hors-sol ?

Je ne crois pas. C’est une technique qui a pu faire peur à l’époque parce qu’ils pensaient que nous faisions un peu n’importe quoi. Nous sommes passés d’un support solide, la terre, à un support liquide, l’eau. Les éléments fertilisants qui se trouvent dans la terre se transportent maintenant dans l’eau par une forme minérale assimilable. Nous avons une meilleure écologie avec le hors-sol parce que nous apportons uniquement ce dont la plante a besoin en éléments minéraux. Dans la pleine terre, nous apportons un complément et la manière dont les éléments minéraux sont distribués dépend du complexe argilo-humique. A mon avis, nous avons là des arguments à faire valoir pour le hors-sol.

Pour ma part le consommateur n’a aucune raison d’avoir peur. Je fais visiter mon exploitation. Il y a environ 200 à 250 personnes qui viennent par hiver lorsque nous sommes en pleine production. C’est la légitimité du consommateur d’avoir des légumes sains. En tant que producteur, il ne faut pas non plus être réticent au hors-sol. C’est une technique qui est là et c’est une technique d’avenir.

Pensez-vous que la culture hors-sol est une démarche écologique et durable ?

Oui, j’estime que, par rapport à ce que j’ai dit auparavant, le hors-sol est écologique et durable. Il est et sera incontournable. Produire ce que nous produisons en hors-sol, en pleine terre, n’est plus possible de nos jours. Non seulement au niveau de la main d’œuvre, mais aussi pour une certaine sécurité d’approvisionnement. Les grandes surfaces l’ont compris. Il y a quelques années, elles ne mettaient pas en avant le hors-sol mais maintenant elles osent le faire.

  


 

Hervé Chabanel

 

Extrait de l’entretien avec Hervé Chabanel, producteur à Allens :

 

 

 

 

Pourriez-vous me donner quelques précisions sur votre entreprise ?

Il s’agit d’une exploitation familiale. Nous possédons des serres depuis 1992, et depuis 2001, nous avons commencé la culture hors-sol. Je travaille essentiellement avec mon père et ma mère. Depuis quelques années, durant les mois de juin et juillet, une personne vient nous aider. Cette année 2007, nous avons eu un supplément de travail à cause de la variété de tomates choisie, la tomate grappe, dont la présentation doit être parfaite.

Que produisez-vous ?

En hors-sol, nous disposons de 2700 m2 de serres où nous produisons uniquement des tomates, essentiellement la variété grappe, pour nos clients, Coop et Migros entre autres. Nous produisons également pour la vente directe et pour nous-mêmes, des tomates rondes, charnues, cherry, jaunes ou encore des lignées, c’est-à-dire non hybrides. Sinon en pleine terre, sur une surface de 37 ha, nous cultivons également le colza, l’orge, le pois, le blé. Autrefois, nous produisions aussi des pommes de terre.

 

Serres de H. Chabanel

Les serres d'H. Chabanel

 

Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez choisi le hors-sol ?

Nous avons commencé à produire en hors-sol à cause de problèmes racinaires ainsi que de rendement. Au début, nous étions réticents face à cette technique culturale, beaucoup disaient que le hors-sol était techniquement difficile. Pour nous, la culture en pleine terre fonctionnait bien. Lorsque nous avons subi des baisses de rendement, nous n’avons pas eu le choix, il a fallu changer notre technique. Finalement, nous nous sommes rendu compte que le hors-sol n’est pas aussi difficile à appliquer que nous le pensions.

Procédez-vous à une désinfection de votre eau ?

Non, car l’eau du réseau est une eau propre. Beaucoup de producteurs utilisent des systèmes de désinfection divers et variés, mais à ma connaissance avec un succès modeste.

N’avez-vous pas plus de risques de maladies en ne désinfectant pas l’eau ?

Nous avons choisi une autre option, celle d’injecter dans le pain, au début de la culture, des produits contenant des micro-organismes naturels de la terre. Ils évitent que des champignons pathogènes se développent dans le pain en « occupant le terrain ». Il me semble que c’est assez efficace. Quand le technicien vient vérifier les racines, elles sont en très bonne santé. Nous n’avons donc pas de problème de maladies au niveau des racines.

Ressentez-vous une réticence de la part du consommateur face à ce mode de culture, lors de la vente directe ?

Parmi les acheteurs en direct, peu sont réticents. Alors que nos gros clients Coop ou Migros sont évidemment plus curieux, se demandant ce que nous mettons dans l’eau d’irrigation. Ils pensent que ce sont des plantes sous perfusion ! Mais c’est parce qu’ils ne connaissent pas bien le hors-sol. En effet, les racines fonctionnent correctement et prélèvent les éléments minéraux tout à fait normalement. Les clients qui viennent à la vente directe viennent principalement pour le prix, ainsi que pour la qualité, surtout au niveau du goût. Mais il est vrai que certains s’inquiètent plus des traitements qui ont été effectués qu’à la technique hors-sol proprement dite.

Récolte chez H. Chabanel

Production de H. Chabanel

 

Avez-vous noté une économie d’eau ou d’engrais ?

Par rapport à la culture traditionnelle, les économies que nous faisons en hors-sol sont de l’ordre de 30% pour l’eau et 40% pour les engrais. Cela correspond au recyclage, car les 30% du drainage sont remis dans le circuit d’irrigation. Mais cela dépend aussi de la météo. S’il fait beau et chaud, il y aura 30 à 40% de drainage, si le temps est couvert il y en aura presque plus. En effet, les tomates ne supportent pas un excès d’eau dans les pains, qui provoque un manque d’oxygène, et il y a des risques de maladies.

Ce sont des économies intéressantes. L’eau, pour l’instant, n’est pas trop chère mais elle pourrait le devenir et c’est une denrée à préserver. En ce qui concerne les engrais, c’est également très intéressant financièrement.

Que pensez-vous de « la culture hors-sol, une démarche écologique et durable » ?

Ça me parait tout à fait évident car il y a peu de problèmes écologiques, puisque nous sommes dans un système fermé et qu’il y a peu de rejets dans l’environnement. Peut-être y aurait-il un souci avec la surface couverte, nous pourrions très bien récupérer l’eau de pluie pour irriguer la culture, mais financièrement ce n’est pas encore intéressant.

  


Pascal Sigg

 

Un dernier entretien a eu lieu le 16 août 2007, non pas avec un producteur mais avec M. Pascal Sigg un ingénieur de la station fédéral de Conthey, dont le but de la recherche permet aux producteurs d'améliorer leur technique de culture.

 

 

Quel est exactement votre rôle ?

Au niveau de la recherche, mon rôle consiste à conduire des projets, en collaboration avec mes collègues, à mettre en place les essais, je m'occupe également de la formation des apprentis de notre groupe. À la fin de l'année, nous éditons un rapport d'activités afin de communiquer les résultats obtenus. Nous faisons également des publications dans des revues scientifiques et de vulgarisation, afin de communiquer à plus large échelle les résultats de nos travaux.

Sur quels types de projets travaillez-vous ?

Au sein d'Agroscope, les projets de recherche sont définis sur une période de 4 ans.  Actuellement, nous terminons les projets de la tranche 2003-2007. Les idées de projet viennent à la fois de l'interne, des producteurs ou des organisations de professionnels. Chaque branche a un forum de recherche qui regroupe ses différents acteurs (producteurs, organisations, offices techniques et chercheurs) qui définissent les thèmes de recherche et priorisent les sujets retenus. Ce sont des projets qui sont donc en phase avec la pratique. Nous faisons de la recherche appliquée afin d'apporter directement ces résultats chez les producteurs. Actuellement, une partie de nos essais tournent autour d’un grand thème qui est l’économie d’énergie. Ceci est dû, entre autres, à l’augmentation du prix du pétrole. Comme l’énergie est un poste important au niveau des frais de production, il est intéressant d’utiliser le moins de mazout possible. Nous travaillons aussi sur d'autres thèmes comme la lutte biologique sous serre, diverses techniques culturales et la diversification en plantes ornementales.

Que pouvez-vous dire du développement de la culture hors-sol ?

La technique du hors-sol a été introduite en Europe dans les années septante ; appliquée à quelques cultures maraîchères et florales sous serres, elle s’est ensuite développée de façon assez rapide chez les producteurs. Nous sommes arrivés à un niveau où la technique fonctionne très bien, les résultats sont bons et le système cultural est bien répandu dans la pratique. Ce que nous développons actuellement pour les cultures hors-sol concerne la gestion climatique, l'irrigation et l'assortiment variétal. Ceci axé sur une économie de l'énergie et des intrants utilisés (eau, engrais, substrats, …).

Qu’est-ce qu’apporte, selon vous, la culture hors-sol dans la culture maraîchère d’aujourd’hui, par rapport à une culture traditionnelle ?

Nous avons un meilleur rendement à la surface. Pour la pleine terre, avec une plantation début mars et un arrachage fin septembre début octobre, nous arrivons à 40 ou 45 kg par m2, par année. En hors-sol, la production s’élève à 50 ou 60 kg par m2 par année. Le rendement est donc bien supérieur. Le hors-sol correspond à 20% de la production de tomates en serre et à 50% de son volume de production global. De plus, la durée de la culture hors-sol est aujourd’hui plus importante. En effet, les producteurs plantent dès début janvier et arrachent la culture 10 mois plus tard. Ils ont juste le temps de nettoyer la serre pour ensuite replanter une nouvelle culture. La rentabilisation des structures est meilleure et l’inutilisation de la serre est plus courte qu’en pleine terre. En hors-sol, il y a un meilleur contrôle de l’irrigation et de la fumure. La qualité du fruit est donc meilleure. En pleine terre, un des problèmes les plus importants est le sol lui-même. En effet, sa gestion au niveau de l'irrigation et de la fertilisation est moins évidente qu'en hors-sol, malgré le fait qu'il "pardonne" facilement les erreurs. De plus, on ne peut se débarrasser de tous les risques de maladies et ravageurs.

Ce type de culture est-il particulièrement « rentable » ? Quel est selon vous l’état du marché ?

Malgré les coûts en infrastructure plus élevés, la culture hors-sol est rentable. Ceci peut être expliqué en partie par son meilleur rendement. Ce rendement est assuré par une meilleure gestion de l'irrigation, de la fumure et de la température au niveau des racines des plantes. De plus, à variété égale la qualité des fruits produits est souvent meilleure que ceux produit en pleine terre. Ce qui peut permettre au producteur d'avoir un débouché assuré pour sa marchandise. Les prix, selon la Centrale de culture maraîchère, sont arrivés à un plateau, entre 2,80 et 3,20.francs le kilo au magasin. Il n’y a que peu de perspectives d’augmentation. Cela permet aux producteurs de vendre leur production entre 1.50 et 2 francs le kilo pour la tomate grappe, ce qui est acceptable.

Quelle est l’importance de la gestion de l’eau dans ce type de culture ?

La disponibilité régulière en eau est très importante pour une culture sur substrat, car les volumes de racines et de substrat sont faibles. Une culture de tomates en été ne tiendrait pas 2 heures sans arrosage. Je dirais que la gestion de l’eau dans la culture hors-sol est optimale car nous savons exactement le volume d’eau à utiliser pour l’irrigation, le volume du drainage et le volume du drainage réutilisé. Les pertes en eau dans le sol n’existent pour ainsi dire pas. La seule perte que nous avons en culture hors-sol, qui elle est élevée, c’est la transpiration des plantes, elle représente près de 70% des apports en eau.

 

Plants de tomates © P. Sigg ACW

 

Pensez-vous que les consommateurs sont bien informés sur le sujet ?

Je dirais que le consommateur est mal informé au sujet des cultures hors-sol. Souvent, quand nous parlons de hors-sol, les gens deviennent méfiants. Lorsqu'ils mangent une tomate provenant d'une culture hors-sol, ils ont l’impression de manger un produit artificiel qui a été gonflé aux hormones et rempli de produits chimiques. Il y a quelques années une étude a été faite, sur une comparaison de tomates de variétés égales entre pleine terre, hors-sol et culture dans les jardins familiaux. Les tomates sous serre arrivaient nettement en meilleure position et le consommateur n’arrivait pas à distinguer une différence entre une tomate issue d'une culture hors-sol et une tomate issue d'une culture de pleine terre. Au début, l'image du hors-sol a souffert des variétés  de tomates utilisées. En effet, les critères de qualité recherchés étaient la résistance au transport et la longévité sur l’étalage. Cela a donné pour résultat des tomates de mauvaise qualité gustative. Maintenant, les variétés sont à la fois de bonne qualité gustative et de bonne conservation.

La culture hors-sol est-elle une démarche écologique et durable ?

La culture hors-sol n’est peut-être pas écologique au sens propre du terme, surtout si nous utilisons des engrais de synthèse. On a déjà abordé le problème de l'eau, mais la protection phytosanitaire est nettement réduite. Des insectes et acariens auxiliaires sont utilisés pour lutter contre les ravageurs et les traitements fongicides sont presque inexistants de par la bonne gestion climatique des serres. Un petit bémol subsiste, le chauffage. Ce problème est loin d'être insoluble, mais au prix d'un investissement élevé, en optant pour des énergies alternatives comme le bois par exemple. Certains producteurs sont même devenus des producteurs d'énergie dans certaines régions en revendant l'électricité produite par des moteurs fonctionnant au gaz naturel. Les serres sont chauffées avec la chaleur créée par les moteurs. Mais est-ce que le hors-sol est durable ? Sûrement, surtout si la production se situe en Suisse afin de limiter les coûts de transport et en chauffant les serres de façon écologique.

Que diriez-vous pour conclure ? Optimiste, pessimiste ?

Je suis optimiste, surtout en sachant que la tomate est le fruit-légume le plus consommé en Suisse et dans le monde. Pour les producteurs, deux solutions se présentent à eux. Premièrement, produire de la tomate de bonne qualité gustative en se donnant les moyens techniques, la structure et le savoir-faire. Deuxièmement se diversifier et produire des produits de niche, afin de garder un volume de production satisfaisant. À un moment donné, la tomate grappe était un produit de niche, et maintenant sa production représente le double de la tomate ronde et elle correspond également à la moitié de la production suisse. Malgré l’ouverture des frontières, le producteur suisse n’aura pas de problème si le scénario se déroule comme en Autriche.

 


 

Quelques mots de conclusions terminent cette étude de Izaskum Gutierrez :

Des éléments ont été apportés afin de mieux comprendre cette technique de culture et des producteurs ont donné leur avis par rapport à leur expérience dans ce domaine. Grâce à leur témoignage, nous pouvons mieux cerner les difficultés auxquelles ils sont confrontés. La pression qu’ils subissent vient de tous les côtés : concurrence, clients, consommateurs, etc., il leur est nécessaire de faire un compromis et un équilibre entre ces différents acteurs. Nous comprenons ainsi mieux de quelle manière travaillent les producteurs et le pourquoi de ce choix. Sentir que finalement il n’y a rien « d’effrayant » et que la culture hors-sol n’a rien à voir avec tout ce qui peut être imaginé tel que les manipulations génétiques ou autres.

 

 

L’eau a une place importante pour la vie des plantes, et nous le remarquons bien avec les cultures hors-sol. Elles dépendent principalement de l’eau qui est la source de leur alimentation. L’agriculture étant le domaine qui consomme le plus d’eau, il est important de trouver des solutions pour économiser ce bien précieux. Le recyclage permet une meilleure préservation de l’environnement et la qualité des produits est également préservée. Il serait intéressant de pouvoir valoriser cette technique dans cette optique.

 


48 pages A4, photos couleurs

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Septembre 2007.
 


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